Réalisé par John Landis, Steven Spielberg, Joe Dante & George Miller, sorti le 1er février 1984
Titre original : Twilight Zone, the movie
Avec Dan Aykroyd, Albert Brooks, Vic Morrow, Doug McGrath, Charles Hallahan, Steven Williams, Scatman Crothers, Bill Quinn, Murray Matheson, Evan Richards Kathleen Quinlan, Jeremy Litch, Kevin McCarthy, Dick Miller, John Lithgow, Abbe Lane, Donna Dixon, Larry Cedar ...
"Quatre épisodes de la fameuse série télévisée, La Quatrième Dimension (The Twilight Zone), revisités par quatre grands cinéastes hollywoodiens : John Landis, Steven Spielberg, Joe Dante et George Miller."
Créée dans les années 1950 par Rod Serling, La Quatrième Dimension (The Twilight Zone) fit frissonner les téléspectateurs américains (puis le reste du monde !) durant plus de 150 épisodes. Une longévité remarquable pour une série qui ne l’était pas moins. Réunissant toute la fine fleur des scénaristes spécialistes du fantastique de l’époque (comme Ray Bradbury, Harlan Ellison, Robert Bloch, Robert Sheckley, Charles Beaumont, Richard Matheson et Rod Serling bien sûr qui scénarisa à lui seul plus des trois quarts des épisodes), La Quatrième Dimension se distinguait en effet par son ambiance particulièrement énigmatique, le traitement surprenant et singulier de chacune de ses histoires, ses dénouements inattendus et surtout sa capacité unique à frapper le téléspectateur. La série eut de nombreux dérivés colorisés dans les années qui suivirent et en inspira bien d’autres (les plus célèbres étant certainement Au-delà du réel et sa suite sous-titrée L’aventure continue). Logiquement, Steven Spielberg, John Landis et bon nombre d’autres cinéastes en devenir grandirent en se nourrissant de ces histoires extraordinaires qu’introduisaient une musique et un générique entrés depuis dans la légende. Il n’est donc pas très surprenant que les deux compères firent appel à Joe Dante et George Miller pour mettre en chantier une adaptation cinématographique de la fameuse série d’anthologie au début des années 1980.
Élaborés avant toute chose comme hommage respectueux à la série, les différents segments de ce film à reprennent ici le scénario d’un épisode déjà existant pour ensuite le remodeler avec plus ou moins de libertés. C’est donc à John Landis que revient l’honneur d’ouvrir le bal via un prologue mettant en scène deux individus (Dan Aykroyd et Albert Brooks) circulant en voiture sur une obscure petite route désertique. À ce qui semble être une heure tardive de la nuit, personne d’autre ne semble emprunter ce chemin. N’ayant pour seule compagnie que la leur, les deux hommes s’amusent donc à une sorte de couise (fait chier ce mot, j’ai jamais su s’il fallait écrire "quiz" ou "quizz") musical autour des génériques télévisés. Bien évidemment, ils en viennent rapidement à parler de La Quatrième Dimension, avant de poursuivre avec un petit jeu autour de la peur. La suite, je vous laisse le soin de la découvrir. Toutefois, je dois bien avouer que cette mise en bouche dialoguée s’avère plutôt alléchante si on ne se laisse justement pas rebuter par les longs bavardages qui la composent (et qui évoquent un peu ceux caractérisant le cinéma de Quentin Tarantino). Savant mélange de drôlerie morbide et de terreur inopinée, ce prologue possède tout le charme des réalisations qui ont révélées John Landis (du classique Le Loup-garou de Londres au non moins mythique clip Thriller pour Michael Jackson). Permettant ensuite à un générique modernisé de débuter réellement les hostilités après une chute pour le moins redoutable.
« Nous afvons les moyens de fvous faire parler ! » Le cinéaste poursuit ensuite avec un épisode centré sur Bill (Vic Morrow), un individu irascible confrontés à ses propres préjugés raciaux ; devenant tout à tour un juif persécuté dans une France occupée, un noir aux prises avec le Ku Klux Klan ou encore un asiatique traqué par les G.I. en pleine guerre du Viêt Nam. Rondement menée et disposant de son lot de moments forts (notamment lorsque notre protagoniste se retrouve en équilibre sur un étroit muret alors que des nazis le menacent quelques étages plus bas), l’histoire concoctée par John Landis est loin d’être inintéressante, mais son dénouement pour le moins brutal – et seulement dû à une accident qui endeuilla tragiquement le tournage – en gâche un peu la force évocatrice. Dans la version initiale, il était effectivement prévu que Vic Morrow embarque avec deux enfants à bord d’un hélicoptère afin de se racheter de sa conduite passée et d’enfin faire preuve d’un noble héroïsme. Malheureusement, le tournage ne se passa pas du tout comme prévu et l'hélicoptère, qui volait tout au plus à une altitude de 8 mètres, ne put éviter les explosions provoquées par les effets pyrotechniques utilisés pour la scène. Je vous passe les détails sordides de cet effroyable accident, mais l’acteur et les deux enfants (qui n’auraient pas dû se trouver là selon les lois en vigueur en Californie) perdirent dramatiquement la vie. Assez logiquement, la carrière de John Landis en fut durablement affectée et la suite du tournage très fortement remaniée. Le sketch qu’il a mis en scène est donc véritablement inabouti.
Pour la deuxième histoire, j’ai cru comprendre que Steven Spielberg avait originellement pensé à quelque chose de bien plus sombre avant que son ami John Landis ne connaisse la désastreuse infortune que l’on sait. Quoi qu’il en soit, le cinéaste auréolé du succès de ces terrifiants Duel et Jaws, concentre son récit autour d’une maison de retraite et de ses pensionnaires qui n’attendent plus rien de la vie, avant que le mystérieux Monsieur Bloom (Scatman Crothers) ne débarque avec son sourire perpétuel, sa joie de vivre communicative et ne propose aux anciens de se prêter un petit jeu enfantin ("kick the can"). En un instant, nos vieillards redeviennent alors des enfants. Véritablement. Malgré toute l’estime que j’ai pour Steven Spielberg, cet épisode ne m’a pas franchement emballé. Comme souvent dans son œuvre, le réalisateur concentre ses efforts sur l’enfance et la perte de l’innocence. Mais le format court ne lui sied guère et l’histoire, charmante mais simplifiée à l’extrême (simpliste ?), a du mal à convaincre tant le cinéaste verse dans une mièvrerie et une sensiblerie sans grand intérêt. L’originalité de ce segment apparaît de surcroît comme d’autant plus limité étant le fait que Ron Howard réalisera peu de temps après un long-métrage (Cocoon) reprenant ce concept dans les grandes lignes pour un résultat bien plus satisfaisant (et d’ailleurs produit par Richard D. Zanuck et David Brown, les mêmes qui avaient financés Sugarland Express et Les Dents de la mer). Quant à Steven Spielberg, il aura ensuite tout le loisir de développer ces thématiques qui lui sont chères dans des fictions de bien meilleure facture (de E.T. l’extra-terrestre à A.I. Intelligence Artificielle, en passant par Hook ou la revanche du Capitaine Crochet). Après le segment inachevé de John Landis et celui plutôt anecdotique de Steven Spielberg, Joe Dante initie le premier des deux meilleurs sketchs du programme.
Alors qu'il vient tout juste de réaliser deux longs-métrages horrifiques, Piranhas (dont James Cameron co-réalisera une séquelle déjantée) et Hurlements (un autre film sur les loups-garous), Joe Dante va mettre à profit cette bénéfique expérience dans le fantastique en narrant l’hallucinante histoire d’une jeune institutrice (Kathleen Quinlan, absolument sublime) qui, après avoir malencontreusement percuté le vélo d’un petit garçon nommé Anthony (Jeremy Litch, troublant sous ses faux airs innocents), va se retrouver confrontée à un véritable cauchemar. En pénétrant dans le nid douillet que l’enfant s’est lui même concocté, elle découvrira ainsi par quelle manière (et par quels étranges pouvoirs !) celui-ci il retient prisonnier un groupe de gens qu'il force à jouer sa famille. Entre comédie burlesque et angoisse claustrophobique, c'est un monde complètement surréaliste qui se présente à nos yeux. Pour rendre un maximum tangible l'univers délirant dans lequel évolue nos protagonistes, Joe Dante ne lésine pas sur les moyens. Photographie saturée de couleurs vives, cadrages obliques, décors démesurés et même personnages cartoonesques "live" tout droit sortis d'une version déviante d'un court de chez Warner (un avatar cauchemardesque du Diable de Tasmanie y côtoie ainsi un abominable Lapin farceur). Utilisant déjà avec force cet humour noir irrésistible qui fera le succès de Gremlins peu après, le cinéaste n'est pas non plus avare de séquences visuelles choc prompts à hanter nos nuits (à l'instar de cette femme sans bouche ou de cet œil géant derrière une porte). Malgré le sérieux coup de vieux pris par les effets visuels et une conclusion qui manque d'envergure, ce segment s'avère une très bonne surprise. On appréciera aussi de retrouver deux fidèles de Joe Dante ; Kevin McCarthy en tonton de substitution et Dick Miller en irrésistible barman.
« Mais puisque je vous dis que je ne suis pas fou ! »
Pour finir, George Miller ferme le bal avec une histoire où il est question de phobie aérienne... et de Gremlins ! Nées d'une légende anglo-saxonne de la Seconde Guerre Mondiale, ces petites créatures imaginaires farceuses étaient l'origine accusées de détériorer les engins ou de casser les moteurs. Et si on connaît évidemment tous à présent le fameux film que Steven Spielberg (à la production) et Joe Dante (à la réalisation) confectionneront juste après (serait-ce justement leur expérience sur La Quatrième Dimension qui leur a soufflée l'idée ?), George Miller met toutefois ici en scène un diablotin se rapprochant davantage du folklore mythique que des monstres facétieux dudit Gremlins. Ainsi, un homme absolument horrifié à l'idée de prendre l'avion va voir ses pires craintes se matérialiser en constatant avec effroi qu'une étrange créature juchée sur l'aile est en train de saboter un des réacteurs. Bien entendu, on le prend pour un fou ; pendant que la sale bestiole continue de dépecer l'avion en le narguant ironiquement. Avec les deux premiers opus de sa trilogie Mad Max (le dernier n'étant alors pas encore tourné), le réalisateur avait nettement eu l'occasion de démontrer l’étendue de son talent en matière de plans novateurs et d'efficacité filmique. Ce segment (sans doute celui que je préfère), ne déroge absolument pas à la règle. La paranoïa du héros est particulièrement bien retranscrite ; non seulement grâce l'interprétation hallucinée de John Lithgow, mais aussi grâce aux cadrages ingénieux de George Miller. L'ambiance s'avère ainsi terriblement saisissante également, et la conclusion particulièrement savoureuse. Le cinéaste semble d'ailleurs avoir fortement apprécié cette incursion dans le fantastique puisqu'il signera à peine quelques années plus tard Les Sorcières d'Eastwick ; où comment le roublard Jack Nicholson devra faire face à trois redoutables sorcières incarnées par Susan Sarandon, Cher et la superbe Michelle Pfeiffer.
Au final, La Quatrième Dimension, le film s'avère être, en dépit de quelques faiblesses pénalisant l'ensemble, un divertissement tout à fait honnête. La sincérité des quatre réalisateurs semble manifeste et leur savoir-faire n'est plus à prouver. Qui plus est le casting se révèle être particulièrement convaincant dans l’ensemble. Néanmoins, ce qui faisait le charme unique de la série d'origine ne parvient pas à complètement transparaître ici. D'une part, les différents segments sont bien trop inégaux entre eux. D’autre part, la couleur affadit considérablement l'aspect mystérieux que l'utilisation habile (bien qu'involontaire) du noir et blanc parvenait à mieux retranscrire (La Cinquième Dimension tout comme La Treizième Dimension, qui feront suite à la série originale, auront le même problème). Enfin, bien que les effets visuels soient plutôt aboutis pour l'époque, ils se révèlent parfois être un peu trop démonstratifs. De fait, le rendu visuel peut largement paraître daté de nos jours. À ce niveau, l’économie de moyens de la série de Rod Serling lui était paradoxalement profitable puisque ça lui garantissait en contrepartie une sobriété appréciable associée à des trésors d'ingéniosité. C'était un peu prévible, mais c'est surtout la comparaison avec l'authentique série de Rod Serling qui joue le plus en défaveur dudit long-métrage. Néanmoins, ne boudons pas notre plaisir pour autant devant un si joli hommage. Imparfait, inégal, parfois maladroit, mais foncièrement sincère, chaleureux et loyal. La Quatrième Dimension, le film demeure aussi un moyen assez efficace de faire connaître ce fantastique petit monde de l'étrange à ceux que le noir et blanc effraie encore (peut-être franchiront-ils finalement le pas ?).
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