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LA SHINÉMATHÈQUE

LA SHINÉMATHÈQUE

« La connaissance s'accroît en la partageant. »

Pusher II : Du sang sur les mains

Pusher II : Du sang sur les mains
Réalisé par Nicolas Winding Refn, sorti le 26 Juillet 2006
Titre original : Pusher II : With blood on my hand
 
Avec Mads Mikkelsen, Zlatko Buric, Leif Sylverster Pedersen, Kurt Nielsen, Anne Sørensen, Øyvind Hagen-Traberg, Maria Erwolter, Zlatko Buric ...
 
"Tonny (Mads Mikkelsen), un petit criminel de Copenhague, sort de prison et retourne au garage qui sert de couverture à Smeden, son père dit "Le Duc" (Leif Silverster Pedersen), qui règne avec brutalité sur un gang. Pour montrer sa bonne volonté, Tonny vole une Ferrari, mais son initiative est accueillie avec colère par son père, qui lui reproche d'avoir agi stupidement. En même temps qu'il subit les humiliations paternelles, Tonny apprend qu'il a eu un fils. Il n'y croit pas au début, mais finit par se prendre d'affection pour un bébé que sa mère néglige. Pour gagner un peu d'argent, Tonny s'associe avec un gangster dont la bêtise lui a valu le surnom de "Kurt-le-con" (Kurt Nielsen). Evidemment, le plan de Kurt va échouer et mettre Tonny dans une situation extrêmement délicate..."

 

Mon avis (Coup de cœur) : 5/5

 

Lorsqu'il signe Pusher au milieu des années 1990, Nicolas Winding Refn n'imaginait probablement pas que celui-ci deviendrait, une dizaine d'années plus tard, le premier segment d'une trilogie cinématographique à succès. D'ailleurs, s'il s'est finalement décidé à offrir deux suites à son film coup de poing, c'est d'abord moins par volonté artistique que pour des raisons plus prosaïquement économiques. En effet, après s'être attelé à Bleeder en 1999 (un inédit en France où apparaissent les trois héros de la trilogie Pusher : Kim Bodnia, Mads Mikkelsen et Zlatko Buric), l'échec commercial cuisant de Fear X : Inside job en 2003 (et ce, malgré la présence des estimables John Turturro et Deborah Kara Unger) contraint le réalisateur danois à rapidement donner une suite à son plus gros succès s'il veut rembourser les dettes colossales accumulées (qui s'élèvent tout de même à plus d'un million de dollars). Mais alors que Pusher II semble tout avoir du projet casse-gueule expédié à la va-vite pour renflouer son créateur (qui envisage même un temps de seulement produire cette séquelle), Nicolas Winding Refn s'investit de plus en plus (décidant finalement d'assurer la mise en scène) et développe une histoire qui ira bien au-delà du simple prolongement de l'histoire originale (ouvrant du même coup la voie à un troisième opus ; l'ampleur de l'ardoise qu'il doit explique aussi sa volonté de tourner ces deux films successivement). Car si les similitudes ne manquent pas entre le premier Pusher et celui-ci (notamment par le fait qu'on y retrouve certains personnages comme Tonny, Milo et même Frank dont le prénom est évoqué au détour d'une phrase), Nicolas Winding Refn aurait difficilement pu faire plus différent que ce Pusher II : Du sang sur les mains. Certes, il y est toujours question de trafic de drogue et de prostitution au sein de la petite criminalité copenhaguoise. Toutefois, le cinéaste adopte ici un ton humaniste qui tranche assez radicalement avec la profonde noirceur du précédent volet. Si la capitale danoise ressemble toujours à une immense décharge remplie d'ordures (au sens propre comme au figuré), quelques fleurs d'humanité semblent avoir poussées (y compris parmi les êtres les plus ignobles). Et sans pour autant sombrer dans un misérabilisme parfaitement incongru, Nicolas Winding Refn offre ainsi à son récit une densité inattendue qui lui permet de mieux cerner encore la complexité de l'âme humaine.

Davantage qu'un polar cynique sur un petit combinard désespéré essayant par tout les moyens de s'en sortir, Pusher II se présente surtout comme un drame shakespearien éprouvant prenant place au cœur d'une famille de trafiquants minables. Lorsque ce second volet commence, quelques années ont passé et Tonny (qu'incarne un toujours aussi époustouflant Mads Mikkelsen), le pote malheureux de Frank (antihéros du premier film), sort à peine de prison. S'il semble d'abord vouloir se ranger et aspirer à une vie plus tranquille, la dureté du quotidien et la perspective d'un avenir peu reluisant pour un marginal comme lui vont avoir rapidement raison de toutes les bonnes résolutions qu'il s'était fixé. Plus loser encore que l'antihéros du film précédent, Tonny est pourtant moins un véritable malfrat qu'un paumé pas franchement gâté par la vie. S'il attend évidemment une aide de la part de son paternel (un être violent qui utilise son garage comme couverture et règne avec brutalité sur un gang), notre ex-taulard aspire aussi à une certaine reconnaissance de la part d'un père qui n'a eu de cesse que de le rabaisser (l'insultant très durement et l'estimant à peine digne d'appartenir à la famille) ; on peut ainsi observer de quelle manière il le dénigre systématiquement lorsque Tonny lui apporte une bagnole de luxe fraîchement volée (même si l'acte est stupide, sa réaction semble un peu disproportionnée). Son père n'est d'ailleurs pas le seul à le traiter comme un moins que rien. Durant tout le film, il n'aura de cesse d'être considéré comme le dernier des ratés par la plupart des gens qu'il côtoie ; et notamment par cette nana avec laquelle il a pris du bon temps un soir et qui lui annonce de but en blanc qu'il est le père de son enfant. Entre ce père dont il tente absolument de faire aimer et ce fils qu'il va apprendre à aimer à son tour, c'est une véritable tragédie grecque qui va se jouer sous nos yeux. Bien plus qu'une simple chronique dans la petite criminalité danoise, Pusher II est avant tout une bouleversante réflexion sur la filiation et le besoin d'appartenance. Attention, ce qui suit dévoile certains aspects du récit (il vous suffit de surligner le texte pour le faire apparaître) : < Début > Ce n'est d'ailleurs qu'en s'affranchissant – dans un cruel déchirement œdipien – de l'emprise malveillante et castratrice de son propre père que Tonny pourra enfin espérer devenir père à son tour et prétendre à un éventuel salut. Si la conclusion du film sonne comme une sorte de rédemption symbolique, on ne peut pourtant s'empêcher de penser qu'un nouvel enfer attend celui qui vient de s'extraire d'un terrifiant torrent de flammes... Car, finalement, quel avenir espère-t-il pour lui et sa progéniture ? Quel "paradis" s'attend-t-il vraiment à trouver ? Laisse-t-il véritablement ses anciens démons derrière lui ? Bien que la fin soit à nouveau ouverte, on s'en accommode très bien cette fois-ci tant on se surprend à espérer que ses âmes meurtries ne connaissent pas d'épilogue funeste...  < Fin > Quoiqu'il en soit, et même si le rythme du film peut paraître plus posé encore que le précédent, la fin mettra tout le monde d'accord par la puissance émotionnelle qu'elle dégage. Pour ma part, je suis littéralement resté sur le cul !

Pusher II : Du sang sur les mains
Toxi Driver, ou comment un ancien trafiquant camé choisit la voie de la repentance.


Bien entendu, à l'instar du premier Pusher, le long-métrage de Nicolas Winding Refn ne serait pas aussi réussi si celui-ci n'avait pas su s'entourer d'un casting idéal. Une fois encore recrutés parmi d'anciennes petites frappes reconverties, ces comédiens impeccablement sélectionnés apportent une authenticité et une spontanéité uniques au métrage. On prend ainsi beaucoup de plaisir à les voir donner vie à ces personnages hauts en couleurs fictionnels, mais ô combien réalistes et probablement mieux fouillés que lors du précédent film (avec un Leif Sylverster Pedersen impeccable en père indigne, un Zlatko Buric toujours aussi savoureux en mafieux serbe et un Kurt Nielsen criant de vérité en loser intégral ; la séquence des toilettes valant franchement son pesant de couronnes danoises par son caractère hautement hilarant !). Mais surtout, il y a le plaisir de retrouver Mads Mikkelsen (qui développe ici le rôle qu'il tenait dans le premier volet). Le fantastique interprète du Chiffre dans le récent James Bond 007 : Casino Royale hisse sans mal cet opus au niveau du précédent. À des lieux de sa prestation – pourtant irréprochable – dans le film de Martin Campbell, le comédien incarne ainsi ce loser attachant avec une belle conviction, beaucoup de justesse et une touchante tendresse. Sa prodigieuse interprétation permet au personnage de prendre une formidable densité par rapport au premier long-métrage. D'abord présenté comme une petite frappe immature (totalement écrasée par l'image du père) et pathétique (surtout lorsqu'il essaie de baiser avec des putes qui ne le font pas bander), qui ne cesse d'accumuler les plans foireux (en s'associant de surcroît avec un abruti tellement grave qu'on le surnomme "Kurt-le-con"), Tonny va vraiment gagner en profondeur à mesure que Pusher II va s'approcher de sa conclusion. Avec des regards intenses et des silences qui suggèrent bien plus que de vaines paroles, Mads Mikkelson rend son personnage incroyablement touchant ; surtout lorsqu'il apprend – bien des mois après – le décès de sa mère dans l'indifférence générale, ou qu'il prend conscience des responsabilités qu'il devra assumer pour prendre soin de ce petit être que néglige une mère totalement indigne (les passages avec les deux filles se défonçant misérablement à la coke sont à ce titre d'une désolation absolument navrante). À la fois dur et tendre, le portrait de ce personnage nous touche surtout parce qu'il profondément humain ; dans ses failles, ses faiblesses, mais aussi dans ses forces et dans son besoin de vivre. On peut d'ailleurs se demander ce que serait devenu Tonny s'il n'était pas né un environnement familial néfaste (d'où il va essayer d'extirper un être suffisament jeune pour avoir gardé son innocence). D'ailleurs, on se rend très bien compte de la tristesse de cette "famille" durant la  longue séquence illustrant un mariage des plus pathétiques... Quelle avenir pour une graine (aussi bonne soit-elle) qui grandit au cœur d'un tel désert affectif ?

Toutefois, le spectateur n'est pas dupe et le réalisateur le sait bien. On est toujours en partie responsable du destin que l'on se forge. Nicolas Winding Refn se garde donc bien de justifier ou de blâmer les agissements de ses personnages (il y a seulement que certains partent avec une bonne longueur d'avance avantageant sensiblement leur construction individuelle sur les autres). Il se contente de les présenter dans toute leur crudité et leur vérité (tout juste le récit  s'est-il densifié et a-t-il gagné en humanité entre les deux films). On retrouve d'ailleurs cette même ambiance poisseuse et crépusculaire qui avait fait la force du précédent long-métrage (avec aussi ce même parti pris esthétique réaliste et cette même photographie froide, granuleuse et racée). Viscérale, inventive, élégante et surtout remarquablement soignée, la mise en scène de Nicolas Winding Refn illustre parfaitement sa maîtrise assurée des techniques filmiques (s'illustrant notamment par d'éblouissants plans-séquences) et permet aux spectateurs de cerner au mieux les sentiments des personnages (à l'instar de ces plans laissant apparaître le personnage de dos avec le mot "Respect" bien en évidence sur son crâne). On ressent parfaitement la détresse et la rage de Tonny (d'autant plus que la bande-son renforce avec une pertinence appréciable le poids des images). On ne se contente pas de le juger (en bien ou en mal), on comprend sa douleur (sans pour autant éprouver le besoin ou l'envie de s'identifier à son parcours). Parfois compatissant, mais jamais complaisant, Pusher II se présente surtout comme une description sans concession d'êtres à la dérive (même si le film apparaît comme nettement gore que le précédant ou, surtout, que le suivant). Si le réalisateur représente aussi ouvertement le sexe et la violence, c'est d'ailleurs moins pour gratuitement choquer que pour rester fidèle à son désir premier de proposer une œuvre la plus réaliste possible (aussi commerciales soient les raisons qui l'ont poussées à s'investir dans ce projet, sa volonté de ne pas céder à l'édulcoration reste remarquable). On pourra toutefois reprocher au cinéaste quelques excès au bord de la provocation qui font perdre le film en accessibilité (je pense notamment à la scène quasi pornographique du début qui aurait sans doute pu être moins explicite sans que le film n'en pâtisse ; même si elle illustre pourtant assez bien la tristesse effrayante et le caractère malsain avec lesquels le sexe est envisagé dans ce milieu). Néanmoins, ne boudons pas notre plaisir. Pour un film d'abord envisagé par son créateur comme une œuvre purement commerciale, Pusher II va au-delà de toutes nos espérances. Tout au long de ce récit chargé de noirceur, d'ironie, mais aussi – fait nouveau – de tendresse et d'espoir (bien que la conclusion du premier pouvait tout à fait s'appréhender de manière optimiste ; surtout après ce qu'on apprend ici), Nicolas Winding Refn nous entraîne avec lui dans cette contemplation d'un univers effrayant où la beauté ne réside pas tant devant le spectacle d'une belle Maria Erwolter en string que sur le visage d'un irrésistible bébé gorgé d'une innocence que l'on souhaiterait éternelle...
 

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