Réalisé par Tim Burton, sorti le 23 janvier 2008
Titre original : Sweeney Todd, the demon barber of Fleet Street
Avec Johnny Depp, Helena Bonham Carter, Alan Rickman, Timothy Spall, Ed Sanders, Jamie Campbell Bower, Jayne Wisener, Laura Michelle Kelly, Sacha Baron Cohen ...
"Après avoir croupi pendant quinze ans dans une prison australienne, Benjamin Barker (Johnny Depp) s'évade et regagne Londres avec une seule idée en tête : se venger de l'infâme Juge Turpin (Alan Rickman) qui le condamna pour lui ravir sa femme, Lucy (Laura Michelle Kelly), et son bébé, Johanna. Adoptant le nom de Sweeney Todd, il reprend possession de son échoppe de barbier, située au-dessus de la pâtisserie de Mme Nellie Lovett (Helena Bonham Carter). Celle-ci l'informe que Lucy se donna la mort après avoir été violée par Turpin. Lorsque son flamboyant rival Adolfo Pirelli (Sacha Baron Cohen) menace de le démasquer, Sweeney est contraint de l'égorger. L'astucieuse Mme Lovett vole à son secours : pour le débarrasser de l'encombrant cadavre, elle lui propose d'en faire de la chair à pâté, ce qui relancera du même coup ses propres affaires... Sweeney découvre que Turpin a maintenant des visées sur Johanna (Jayne Wisener), qu'il séquestre avec la complicité de son âme damnée, le Bailli Bamford (Timothy Spall). L'adolescente a attiré les regards d'un jeune marin, Anthony Hole (Jamie Campbell Bower), celui-là même qui avait sauvé Sweeney lors de son évasion. Amoureux fou de la jeune innocente, Anthony se promet de l'épouser après l'avoir arrachée à Turpin. Pendant ce temps, le quartier de Fleet Street s'est entiché des "tartes" très spéciales de Mme Lovett, et celle-ci se prend à rêver d'une nouvelle vie, respectable et bourgeoise, avec Sweeney pour époux et Toby (Ed Sanders), l'ancien assistant de Pirelli, comme fils adoptif. Mais Sweeney est bien décidé à mener à terme sa vengeance, quel qu'en soit le coût..."
Sweeney Todd, c'est avant tout une effroyable histoire vraie s'étant déroulé à Paris, bien que certains historiens en discutent encore les détails. En effet, nous sommes au XIVe siècle (entre 1310 et 1387, les avis varient assez à ce sujet), rue des Marmousets dans le 4e arrondissement de la capitale, un pâtissier y tient un commerce florissant qui doit sa réputation à, dit-on alors, l'excellence de ses pâtés en croûte, à la chair si tendre et délicate. Attenant à sa boutique se trouve celle d'un barbier. Les affaires auraient pu continuer à prospérer longtemps encore si un chien n'avait pas éveillé les soupçons en hurlant à la mort des jours et des nuits devant l'échoppe du barbier, voisine de celle du pâtissier donc. Son maître, un étudiant allemand, avait subitement disparu. Les policiers, flairant une drôle d'affaire, font un soir irruption chez le barbier et y découvrent un cadavre saigné de près par celui-ci, à défaut d'être rasé. En effet, l'indélicat avait pris l'habitude de, parfois, tuer l'un de ses clients et de faire basculer le corps du malheureux, via une trappe dissimulée, directement dans sa cave ; cave qui communiquait avec celle du pâtissier qui le découpait alors et le hachait menu pour en farcir ses pâtés si délicieux. Et comme au Moyen-Âge les maisons des assassins étaients rasées pour mieux conjurer leurs crimes (y compris celles des barbiers et pâtissiers sans scrupule), les boutiques ne firent pas long feu et la rue des Marmousets fut également passé à la trappe, et rebaptisée "rue de l'Hôtel-Dieu".
L'histoire devint une légende, la légende une rumeur, la rumeur une fable. Le temps passa et Alexandre Dumas fit paraître en 1844 un roman qui sans aucun rapport avec l'histoire précédemment relatée. Il y est question d'un certain Edmond Dantès qui était un marin employé sur le batean Le Pharaon au début du règne de Louis XVIII. Accusé à tort de bonapartisme et enfermé dans le Château d'If, sur l'île du même nom, au large de Marseille, il réussit à s'échapper, après quatorze années, et s'empara du trésor de l'île de Monte-Cristo ; dont l'emplacement lui a été révélé par un compagnon de captivité, l'abbé Faria. Devenu riche et puissant, il entreprend, sous le nom de "Comte de Monte-Cristo", de se venger de ceux qui l'ont accusé ou ont bénéficié directement de son incarcération pour s'élever dans la société.
Concernant Sweeney Todd à proprement parlé, Thomas Peckett lui a donné corps en 1846 - puisant dans cette vieille histoire, Alexandre Dumas et le folklore anglais (l'ombre de "Jack l'éventreur" n'étant effectivement pas loin) - avec sa nouvelle The String of Pearls : A romance. Un an plus tard, le récit était adapté au théâtre sous le titre Sweeney Todd, the demon barber of Fleet Street. L'histoire a ensuite connu quelques variations. En 1973, l’une d’elle, écrite par l'auteur britannique Christopher Bond, introduit le personnage du juge Turpin et l’idée de vengeance. C'est cette version qui sera transposée sous forme de comédie musicale par Stephen Sondheim en 1979. Le spectacle musical, qui met en scène Len Cariou et Angela Lansbury dans les rôles principaux, connaîtra un immense succès à Broadway. Bien des années après, c'est cette version que Tim Burton choisira d'adapter au cinéma. Pour son film, il a décidé de conserver la partition initiale de Stepehn Sondheim plutôt que d’avoir recours à Danny Elfman, son compositeur fétiche. La musique, réduite pour les besoins du film, a été enregistrée en studio avant le tournage et les acteurs - qui, à l’exception de Laura Michelle Kelly, chantent tous ici pour la première fois - jouent donc en playback.
Et maintenant, que le spectacle commence !

Johnny Depp et le rouge (sang), mais pourquoi est-il aussi méchant ?
Tim Burton et Johnny Depp, le duo gagnant qui fait mouche à chaque fois. Après Edward aux mains d'argent, Ed Wood, Sleepy Hollow, Les noces funèbres ou encore Charlie et la chocolaterie, Sweeney Todd (pour faire - coupé - court) marque donc la sixième collaboration entre les deux compères. Alors forcèment, c'est avec une impatience non-dissimulée par un état de fébrilité certain que je suis allé apprécier la dernière folie de ce réalisateur de génie. Et pourtant, le côté "comédie musicale" a généralement plutôt tendance à me faire fuir (seul Moulin Rouge ayant trouvé grâcce à mes yeux par son originalité et son ambiance si particulière). Cela dit, Tim Burton nous a doucement fait comprendre qu'il affectionnait le genre, à condition d'y ajouter la touche "macabre" qui s'impose. De L'étrange Noël de Mr. Jack (qui ne réalise pas, mais dont il est à l'origine) à Charlie et la chocolaterie, en passant par Les noces funèbres, on a effectivement pu détecter les prémisses du spectacle musical et filmé des aventures du diabolique barbier de Fleet Street. Malgré tout, et surtout malgré le fait que le genre colle particulièrement bien à l’univers et à la narration cinématographique de Tim Burton, j'avoue que c'est précisément cet aspect musical qui m'a laissé un sentiment partagé. Bien que réussi, le chant des sirènes du film ne m'a donc pas autant séduit que je l'aurai pensé.
Dans un univers très burtonien donc où le lyrisme et la poésie côtoient le gothisme et le macabre, Johnny Depp campe ici un barbier à la vengence irrépressible - sorte d'antithèse d'Edward aux mains d'argent - et revient donc à ses premières amours : la musique. En effet, il faut savoir qu'il fut dans sa jeunesse membre d'un groupe dénommé The Flame, qui devint The Kids, et fit la première partie de la tournée de, excusez du peu, Iggy Pop. Bien entendu, et comme à son habitude, il est absolument parfait dans ce rôle. Dans sa folle quête, il est secondé par une Helena Bonham Carter (son pendant féminin burtonien dont il s'agit ici de la cinquième collaboration avec son mari Tim) savoureuse à souhait. Pleine d'un amour passionné qu'elle ne sait gérer, celle-ci apporte une touche d'ironisme plus qu'appréciable. À ce duo magique se greffe surtout un autre duo tout aussi génial de salopards, Alan Rickman (en pourriture classieuse) et Timothy Spall (en pourriture crasseuse). Vient ensuite une courte, mais exquise, prestation de Sacha Baron Cohen (bien plus drôle ici en un quart d'heure qu'en une heure trente de Borat...). Le reste du casting est plus anedoctique, tout comme cette love story qui se greffe entre la jeune Johanna (Jayne Wisener) et le naïf Anthony (Jamie Campbell Bower). Tim Burton semble d'ailleurs ici avoir bien du mal à respecter l'œuvre original et à se coltiner ses personnages neu-neu par trop encombrants (l'un avec sa ritournelle gnan-gnan et l'autre avec sa voix fluette crispante) ; les passages les concernant sont d'ailleurs les moins passionnants d'un film flamboyant de noirceur pour le reste. Car noir, le film l'est assurément. Noir d'abord par son traitement si particulier qui donne un air blafard à des personnages paradoxalement éclatants (avec un impression de quasi noir & blanc sur certaines scènes où juste le rouge prédomine, un peu la manière de Sin City). Et si certains passages sont plus "colorés", c'est uniquement parce qu'ils représentent l'espoir d'un bonheur chimérique ; impression renforcée par le côté désespérement livide du teint de Mister T. et de Miss Lovett dans ces rares instants de rêverie. Noir surtout par le désespoir qui s'en dégage. Tous les personnages décrits ici ont une part d'ombre conséquente, et il n'y a dans ce Londres d'une noirceur gothique aucun réel "gentil" ; l'avide Bailli (Timothy Spall) et le cruel juge incestueux (Alan Rickman) autant une incarnation plus puante encore que ce couple meurtrier du barbier et de la pâtissière. Ce qui sert justement à Sweeney Todd de prétexte facile pour justifier son injustifiable folie meurtrière. Ah si, il demeure une exception. Le couple de jeunes tourtereaux semble effectivement encore innocent, mais tout le monde s'en fout de toute façon ; y compris Burton qui ne s'embêtera même pas (avec raison) à narrer la conclusion de leur histoire. Quant au jeune Toby (incarné par un bondissant et sympathique Ed Sanders), il connaîtra lui aussi des heures bien sombres... Pour contrebalancer cette atmosphère probablement lourde autrement, les dialogues du film sont donc chantés. Ce qui donne un décalage fantaisiste avec le propos du film et apporte une dose d'ironie macabre bien souvent appréciable. Pourtant, le noir et le rouge du film lui apportent tout son attrait. Sans cela, le film narrerait une banale histoire de vengeance sans grand intérêt. D'ailleurs, la scène de fin, désespérée et magnifiquement mise en image, marque l'apogée de cette fable sanguinaire. Mais alors, de quoi je me plains ? Et bien, en fait, mon aversion pour le genre (celui de la comédie musicale) a fini par reprendre le dessus et j'ai fini par regretter, un peu seulement (faut pas déconner quand même), que les chansons prennent autant de place. Je ne sais pas ce qu'aurait donné le film s'il avait été expurgé de cet aspect - il aurait sans doute été plus noir encore (aux limites de l'insoutenable peut-être) - mais j'avoue que je me serais volontiers passé de quelques passages un peu trop longuets à mon goût (oui, je parle encore de ces infâmes jouvanceaux transis d'amour). Après, le film est effectivement très sanguinolant (sûrement le plus "trash" de Tim Burton), mais ça passe vraiment bien grâce à la façon très stylisée dont tout cela est montré à l'écran. Au final, c'est quand même vachement bien ; Tim Burton et son casting léché nous embarquant avec beaucoup de plaisir dans ce spectacle où Johnny Depp et Helena Bonham Carter rayonnent de manière diaboliquement envoûtante.
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