« La connaissance s'accroît en la partageant. »
24 Août 2008
On aurait logiquement donc pu s'attendre à ce que Romero s'en charge lui-même, mais il n'en fut étrangement rien. Le bébé fut toutefois confié à une personne tout à fait digne de confiance, ce cher Tom Savini. Néanmoins, Romero ne sera jamais loin, supervisant le film en tant que producteur aux côtés de l'équipe ayant conçu l'original. Complice fidèle du cinéaste, ce fut notamment lui qui élabora les maquillages des films Zombie / Dawn of the Dead et Le Jour des morts-vivants (il fut contraint de céder sa place sur le premier opus pour cause d'obligations militaires). Il fit également une apparition remarquée dans Zombie / Dawn of the Dead (avec son peigne à moustache !) et dans Une nuit en enfer de Robert Rodriguez (Sex Machine, c'est lui !). Curieusement, Savini ne s'occupa pas ici des maquillages, même si on imagine assez facilement qu'il y ait participé d'une façon ou d'une autre. Tirant astucieusement partie de la couleur, là où l'original sublimait le noir et blanc, cette nouvelle version propose des zombies bluffant de réalisme, aux visages jaunies et putréfiés, qui compensent en partie l'absence relative de gore En effet, alors que le rendu graphique des cadavres frôle la perfection et que Savini avait concocté des explosions de tête en gros plan bien saignantes, la commission de censure américaine a une nouvelle fois fait des siennes en bridant largement l'enthousiasme du réalisateur. Et s'il avait pourtant pris soin d'éviter les festins anthropophages explicites et autres étripages trop sanguinolents, Tom Savini dut tout de même édulcorer certaines séquences jugées trop dégoûtantes pour un film destiné à être plus largement diffusé que ces prédécesseurs. On peut voir ces scènes censurées dans les bonus du DVD (pour en constater la réussite) et regretter amèrement qu'elles n'aient pas été présentes dans le long-métrage. D'autant plus que le film ayant malheureusement été un échec cuisant au box office, aucune version longue ne sera proposée. Du coup, alors que la couleur était propice à une présence accentuée de l'hémoglobine, le film est paradoxalement plus sage que son modèle. Curieusement néanmoins, son film s'intègre mieux dans l'esthétisme général de la saga. Une singularité amusante qui s'explique par un seul nom : Tom Savini (ici réalisateur et maquilleur des deux précédents volets).
Malgré toutes ces coupes sommaires, Savini s'en sort honorablement en présentant un film ayant de très beaux restes. Ne cherchant pas à faire une redite modernisée du film de Romero, le réalisateur s'attachera à accentuer le côté "survival horror" du film, quitte à négliger un peu l'impact satirique du premier. Pour cela, il pourra compter sur un casting de haute volée, une interprétation très convaincante et fera un joli lifting des personnages au passage (tout en prenant soin de les conserver sans ajout superflu). Ben est ainsi campé par le charismatique Tony Todd, qui s'illustrera deux ans plus tard dans le rôle-titre du film Candyman de Bernard Rose (Savini y fait d'ailleurs une allusion involontaire amusante – le film a été tourné bien avant – en montrant l'acteur avec un pied de biche semblable à un crochet lors de sa première apparition). Il apparaît ici comme bien plus fragile que dans l'original (on le voit s'effondrer littéralement sur la fin) et est joué avec une belle intensité par l'acteur. Dans le rôle de Harry Cooper, Tom Towles offre également une prestation remarquable, accentuant la folie du personnage et l'antipathie du spectateur face à cet individu égoïste prisonnier d'une haine pathétique et démesurée. Il n'en reste pourtant pas moins humain, tout comme Barbara qui est avantageusement interprétée par Patricia Tallman. Loin de cette vision datée de la femme que représentait la Barbara de l'original, incapable de survivre seule et véritable boulet pour les autres, cette Barbara "next generation" est psychologiquement bien plus intéressante ; à un point tel qu'elle devient même l'héroïne du film au détriment de Ben. Du statut de vieille fille coincée, apeurée et sanglotante du début elle passe à celui de la femme d'action déterminée et dérouille les zombies aussi sûrement que ne l'aurait fait la Ripley de la saga Alien. Subtilement interprétée par l'actrice, cette guerrière improvisée n'en demeure pas moins une femme ayant une sensibilité à fleur de peau. C'est ainsi portée par ses émotions qu'elle craquera mentalement (avant de se ressaisir) face à ce spectacle morbide d'une jeune morte-vivante tenant encore sa poupée délabrée dans les bras ou qu'elle réagira aussi violemment sur la fin. L'enrichissement psychologique de ce personnage est assurément le point fort de ce remake.
Techniquement plus abouti que son modèle, cette modernisation du mythe perd tout de même un peu en atmosphère ce qu'elle gagne en efficacité ; la vision de l'original me semble quoi qu'il en soit indispensable pour apprécier au mieux ce qui le différencie de celui-ci. Car s'il reste finalement très proche scénario original, Savini joue malicieusement avec notre mémoire de spectateur, contournant astucieusement certaines scènes clés comme l'ouverture dans le cimetière ou encore le matricide dans la cave (n'oubliant pas au passage de faire un habile clin d'œil à l'original et sa fatidique truelle) et prenant des libertés surprenantes avec le destin des personnages. La fin est également substantiellement différente. Et si le film de Tom Savini n'est pas aussi chargé politiquement que celui de George A. Romero, le pessimisme de la fin est très fidèle à l'esprit de la saga originelle. « Nous sommes eux et ils sont nous. » renvoie directement au « C'est nous. » proclamé par Peter dans Zombie / Dawn of the Dead. La brutalité des morts-vivants face à notre barbarie inhumaine. L'anthropophagie écœurante des zombies solidaires est-elle finalement pire que l'allégresse avec laquelle les hommes (qui ne cessent de s’entre-déchirer) s'amusent avec les morts (les pendant par les pieds pour en faire des cibles vivantes plus distrayantes) ? Une réflexion parmi tant d'autres que les morbides photos orangées des exactions commises par l'homme finissent de soulever lors du générique final où retentit une musique industrielle inquiétante. Même si j'ai une nette préférence pour l'original de Romero et sa fin d'une injustice totale, je reconnais sans peine le talent de Savini. Il a un réalisé un travail exemplaire et son remake, en plus d'être plutôt réussi, est un bel hommage au classique du maître.
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