« La connaissance s'accroît en la partageant. »
18 Octobre 2008
Réalisé par Sam Peckinpah, sorti le 9 février 1972
Titre original : Straw Dogs
Avec Dustin Hoffman, Susan George, Peter Vaughan, Del Henney, Ken Hutchinson, Jim Norton, T.P. McKenna, David Warner ...
À l'origine, Sam Peckinpah devait réaliser l'adaptation cinématographique du mythique Délivrance mais, suite à un différent avec la Warner, c'est finalement John Boorman qui s'en chargera (avec la réussite que l'on connaît). Néanmoins, très attaché à l'idée de mettre en scène un film moderne sur la question de la bestialité naturelle de l'homme et de ses instincts primitifs, le cinéaste fut très enthousiasmé en découvrant le roman de Gordon Williams, The Siege of Trencher's farm, qu'il retravaillera en profondeur avec son co-scénariste David Zelag Goodman (y ajoutant notamment la fameuse scène de viol). Coutumier des univers sombres où la brutalité est radicale et la noirceur omniprésente, Sam Peckinpah avait jusqu'à présent dépeint ce portrait au vitriol de l'homme principalement dans des westerns d'une redoutable efficacité et d'une violence graphique sans concession (le segment le plus connu étant assurément l'indémodable La Horde sauvage sorti peu de temps avant). Et d'ailleurs, si l'histoire se déroule ici à une époque plus contemporaine, Les chiens de paille adoptera une structure assez proche des précédents films de l'auteur et de certains grands classique du genre (notamment dans l'hallucinante séquence finale qui emprunte beaucoup au Rio Bravo de Howard Hawks). Dès les premières images du générique, le malaise s'installe. On y voit en effet plusieurs enfants s'amuser dans un cimetière, dégradant ce lieu traditionnellement sacré et maltraitant un petit chien dans l'impunité la plus totale. Comme souvent chez le cinéaste, la mise en image de l'enfance est loin d'être anodine. Ils sont censés représenter l'avenir (de façon générale bien sûr, mais aussi à l'intérieur du film). Ils reflètent la façon dont vivent les gens ici et comment ils éduquent leurs gosses : loin de toute notion de respect, de moralité ou même d'autorité.
D'emblée, la critique sociale est corrosive envers ces villageois à peine plus civilisés que des peuplades moyenâgeuses. Les relations entre les hommes sont primaires et la violence palpable dans chaque recoin de ce village perdu de l'Angleterre profonde (les rednecks attardés de Délivrance ne sont décidément pas très loin). Quant à la femme, elle est principalement convoitée comme un objet de pur désir sexuel ; en témoignent les regards lubriques qui suivent l'arrivée de la jolie Amy et de la jeune Janice sur la grande place. On comprend rapidement que, en voulant fuir la folie destructrice de l'Amérique et trouver le repos nécessaire pour travailler, David Sumner n'est probablement pas tombé dans le lieu idéal (le mauvais type au mauvais endroit en quelque sorte, si on veut reprendre un refrain connu). La scène de bagarre qui suit dans le bar est également très symptomatique de cette violence (tant physique que morale donc) à laquelle les hommes semblent s'être accoutumés (le barman ne réagit presque pas aux provocations du vieux Tom). Quant à la loi, représentée par ce vieil officier impuissant, elle semble réduite à sa plus simple expression ; les villageois du coin ayant visiblement une conception très particulière de la justice comme on le verra par la suite. Alors que le sentiment de malaise n'aura de cesse de monter à mesure que le film se déroulera, Les chiens de paille s'achèvera en effet dans un hallucinant déchaînement de violence sanguinaire qui n'est assurément pas à mettre entre toutes les mains (malgré sa réussite formelle tout bonnement ahurissante). D'autant plus que le film sera également émaillé de quelques scènes de sexe explicite (dont cet insoutenable viol) et que son propos, assez ambigu à certains moments, aura largement de quoi décontenancer. De fait, il est impossible pour moi de me contenter d'une analyse en surface qui traiterait un peu trop à la légère les thématiques difficiles du film. C'est pourquoi je préviens de suite ceux qui n'auraient pas vu le film de s'abstenir de lire ce qui suit, car je vais m'attarder plus particulièrement sur certains aspects de celui-ci et immanquablement en dévoiler l'histoire...
Entraîné malgré lui dans une partie de chasse faussement amicale, David apparaît comme bien pathétique et particulièrement méprisable grâce à ce montage ingénieux qui nous montre en parallèle l'insoutenable viol de sa campagne (dont il ne saura jamais rien non plus, toujours aussi incapable d'appréhender les fractures qui se créent chez sa femme). Passage malsain dont l'insoutenable férocité est renforcée par la mise en scène inventive de Peckinpah, qui pousse même jusqu'à introduire des plans en vue subjective de la femme violée, ce double viol m'a fortement décontenancé. Pas seulement par son caractère cru, mais surtout par l'attitude d'Amy. En effet, alors qu'elle résiste en premier lieu assez violemment à Charlie, j'ai eu l'impression qu'elle prenait du plaisir ensuite (allant même jusqu'à "caresser" son agresseur et l'étreindre tendrement). En quelque sorte, son indécision l'a amené à cette situation terrible où sa conscience tout comme sa volonté de lutter auront été totalement inefficaces. Cet espèce de consentement du viol (qu'on peut comprendre aussi comme une certaine forme d'acceptation de son statut de dominée et de reconnaissance de la force) m'a vraiment dérangé car j'ai trouvé cette vision quelque peu primitive de la femme absolument atroce. Et lorsque son second agresseur la prend de force, si elle ne prend alors visiblement pas de réel plaisir, je n'ai pas trouver non plus que son attitude traduisait un profond désir de s'échapper (comme si elle retrouvait chez ses violeurs l'image de l'homme fort que son mari semble avoir perdu à ses yeux). Bien sûr, un viol (accepté ou non) reste un viol et on pourrait tout à fait arguer que c'est surtout la peur, mêlée un irrépressible sentiment d'impuissance, qui la pousse à agir ainsi.
Pourtant, lorsqu'on la voit tranquillement allongé dans son lit la scène suivante, une clope au bec (symbole habituellement associé à une satisfaction sexuelle post-coïtale), je n'ai pas trouvé que son comportement ressemblait à celui d'une fille venant de subir deux viols successifs. Et je n'ai pas trouvé ça très habile de la part du réalisateur (d'autant plus que cette séquence a été ajouté expressément pour les besoins du films). De fait, et alors que j'avais tout d'abord pris les flashbacks d'Amy durant le gala de charité comme une marque de traumatisme due aux viols qu'elle venait de subir, j'ai alors davantage ressenti ce passage comme une forme de culpabilité qu'autre chose. Chose que je trouve assez dérangeante également et qui enfonce encore un peu plus l'effroyable image de la femme dans ce film. On n'a vraiment l'impression qu'elles sont toutes méprisables et avides de sexe. La séquence qui suit, où Janice (visiblement en manque) cherche à tout prix que quelqu'un la saute et finit par se rabattre sur l'idiot du village renforce une fois de plus ce portrait ignoble de la gente féminine. Bon, je ne dis pas que ma vision des choses est celle qu'il faut nécessairement retenir, car je pense que Les chiens de paille peut s'analyser de façons très différentes (j'avais d'ailleurs un avis tout à fait contraire à la base). Je peux donc faire fausse route mais, à présent, je trouve vraiment à vomir cette vision dégradante de la femme dominée, facile à violer et qui finalement semble "aimer ça" que fait le film. Amy est d'ailleurs représentée comme un personnage assez faible au final et totalement dépendant des hommes. Elle semble contrainte de subir cette violence de ceux-ci et les suivre servilement en silence jusqu'à la fin, lorsque son mari est pris d'un débordement de violence pire encore que celui des gens du village (mais qu'elle semble acceptée puis qu'elle consent à tuer elle-aussi).
La violence est d'ailleurs au centre du récit de Peckinpah. Elle fait partie intégrante de la nature humaine semble souligner le cinéaste et il ne sert à rien de nier son existence comme le fait le personnage de Dustin Hoffman (qui éclipserait presque le reste du casting par le charisme incroyable qu'il parvient à dégager). Il faut plutôt apprendre à la comprendre, à la dominer et à la canaliser. Le seul personnage présenté de manière vraiment positif (le représentant de l'ordre) sera d'ailleurs totalement inefficace et ironiquement même le premier à faire les frais de la sanglante expédition punitive finale. Néanmoins, la prise de conscience de David sur l'irrémédiable violence qu'on porte en nous arrivera bien trop tardivement pour espérer une fin joyeuse. La fin du film est d'ailleurs terrible. La révolte de David se fait pour de "mauvaises" raisons. Alors qu'il n'a rien fait pour protéger sa femme, il met toute son énergie et toute sa fureur pour défendre un assassin simplet, à cheval entre Lennie dans Des souris et des hommes et la créature de Frankenstein, ; son instinct primitif de survie comme réveillé par ce besoin de défendre son territoire. Pire encore, après être devenu l'être violent, impitoyable et assassin qu'il refoulait tant (il affiche même une certaine satisfaction à s'être débarrassé de ses assaillants), il en va jusqu'à abandonner sa femme comme le sous-entend la dernière réplique qu'il adresse à Henry Niles. On aura rarement vu autant de noirceur concentrée en un seul film. C'est pourquoi mon avis reste encore assez mitigé sur ce long-métrage que j'ai tour à tour autant apprécié que rejeté ; et qui me laisse aujourd'hui dans une grande perplexité. Ne pas laisser indifférent n'est en tout cas pas la moindre des qualités de Sam Peckinpah.
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