Nous avons appris cette année que l'émission Envoyé Spécial était celle que préféraient les français en 2007. C'est en avis que je partage grandement tant par la diversité des reportages qui nous sont proposés que par le traitement qui en est fait. L'émission dont je vais vous parler était une fois encore de grande qualité et avec des sujets variés :
- Un portrait de Fadela Amara, itinéraire d'une révoltée
(par Loïc de la Mornais et Virgine Travers)
- Une enquête sur les pesticides, alerte aux trafics
(d'après le ouvrage de Fabrice Nicolino et François Veillerette, et celui de Laurent Jézéquel)
- Un carnet de route sur le Nigéria, la malédiction de l'or noir
(par Philippe Levasseur et David Geoffrion)
- Un focus sur Eagle Academy, des ados bien dressés
(par Véronique Maudy et Roman Mouturat)
Bien sûr, si tous les sujets présentés mériteraient qu'on s'y attarde, c'est sur le dernier que je vais insister. En effet, ce reportage sur Eagle Academy m'a profondément révolté. A priori, ce reportage avait déjà été diffusé en mars 2007, mais je n'avais pas eu l'occasion de le voir. Si je ne connaissais pas encore ce camp de "redressement" pour jeunes ados, c'est maintenant chose faite.
Pour ceux qui prennent le reportage en route, il est difficile de croire que celui-ci se déroule sur les terres la première puissance mondiale. Et pourtant, c'est bien le cas.
Eagle Academy est donc camp de redressement paramilitaire pour adolescents situé en Floride, une sorte de mélange pervers entre Prison Break (et plutôt la prison de Sona que celle Fox River...) et le centre militaire façon Full Metal Jacket (au passage, je vous conseille de regarder cet excellent film du regretté Stanley Kubrick). Ici, 70 adolescents américains vont connaître l'enfer pendant 6 mois : réveil à 3h du matin, emploi du temps chronométré (1 minute pour se doucher et 2 pour s'habiller en groupe et devant le regard "bienveillants" des instructeurs, 2 minutes pour manger...), discipline de fer (les vêtements doivent être impeccablement pliés et repassés sans aucun faux plis, les affaires rangés avec soin et avec un espacement réglementé, autorisation indispensable pour aller aux toilettes, interdiction formelle de bavarder avec ses petits camarades, loisirs prohibés...), entraînements physiques quotidiens, pression psychologique constante, sanctions au moindre écart...
D'entrée, on nous veut nous rassurer. Les adolescents continuent ici à suivre leurs cours, et avec la plus grande rigueur. Et on croit comprendre pourquoi après qu'un adolescent de 13 ans ayant une envie pressante ait trop "plaisanté" sur ce sujet avec l'instructeur surveillant en classe ; quelques instants plus tard, deux géôliers - pardon - deux militaires le font sortir manu militari de la classe. Les reporteurs n'auront pas le droit de filmer, mais on a le temps d'apercevoir que les deux soldats hurlent sur le gosse et le molestent salement. Celui-ci finira dans une marre de boue à sauter à cloche-pied au rythme des brimades incessantes du sergent-instructeur. En présence de l'enfant, le militaire nous prévient : "ne vous laissez pas attendrir par cet enfant, c'est ce même enfant qui viendra vous agresser dans votre propre maison un jour !"
Mais de quel sorte d'enfants s'agit-il donc ? Avons-nous affaire à des délinquants juvéniles ? Pas du tout, aucun d'entre eux n'a jamais été condamné par la justice. Les enfants sont venus ici de leur plein gré ; enfin, les parents les envoyer ici de leur plein gré. Il s'agit pour la plupart d'ados en crise, âgés entre 13 et 16 ans, ayant des difficultés avec l'autorité parentale ou des problèmes d'échec scolaire. Une mère raconte ainsi que son fils lève les yeux au ciel et fait des "pfff" quand elle lui parle ; 6 mois dans le camp lui fera le plus grand bien. Un père explique qu'il a peur que sa fille (qui doit avoir dans les 15-16 ans) tombe enceinte et qu'il a surpris un garçon dans sa chambre ; il a tout de suite appelé la police pour virer l'opportun et envoyé sa fille une semaine après dans le camp pour qu'elle retrouve la voie de la raison.

Et c'est parti pour les joyeusetés ! Arrivés en bus, les enfants sont accueillis par une bande de militaires hystériques qui leur hurlent dessus. Le ton est donné. C'est parti pour 6 mois de discipline extrême où harcèlement moral et punitions dégradantes seront les maîtres mots. Le tout sera couronné par un examen final qui déterminera si les ados sont prêts, ou pas, à réintégréer comme il se doit la société.
Cette épreuve ultime durera 6h et se déroulera le soir, c'est bien plus amusant car il fait plus froid devine-t-on. On les fait courir, on les fait ramper, on les fait sauter dans des bassins d'eau gelée ; les instructeurs militaires n'oubliant jamais de corser le tout en les arrosant d'eau glaciale et en leur balançant du sable dans les yeux ("pour les aveugler", dixit un responsable du camp). Ici, on assiste à une séance de baignade dans un baril gelé où des militaires prennent à malin plaisir à insulter et asperger de glaçons un jeune garçon de 13 ans. Là-bas, on croise un adolescent d'une quinzaine d'années encerclé par plusieurs militaires qui l'insultent et le ridiculisent en le traitant de looser, l'incitant à abandonner d'une simple bouchée disqualificative dans un hamburger. Plus loin, c'est une jeune fille de quinze ans obèse en larmes qui a abandonné, elle s'en veut d'avoir mis son équipe dans l'embarras par sa nullité. Enfin, on nous présente une nouvelle fois cet ado de 13 ans, il a abandonné car il avait trop froid (sorti de son bac à glaçon il devait encore courir sous + 5°C). Trempé et gelé, c'est sous les réprimandes de son instructeur ("t'es qu'un looser !", "toute ta vie, tu échoueras !", tu devrais avoir honte !") qu'il rejoind le camp des perdants.
Au bout de ses 6 mois de cauchemar, les parents sont invités à un pic-nic faisant office de cérémonie de clôture. Les vainqueurs de l'épreuve sont célébrés, les autres sont conspués. La mère du jeune garçon de 13 ans qui a échoué a honte de son fils ; du coup, elle envisage de l'inscrire pour une autre session de 6 mois (personnellement, je suggère qu'on l'envoie elle-aussi y faire un tour, juste comme ça pour voir...).
À la fin du reportage, on apprend qu'un quart des ses jeunes rejoindra le rang de l'armée et qu'un enfant sur cinq deviendra délinquant. On apprend aussi que, le succès aidant, le camp songe à s'agrandir...
Révoltant, ce camp l'est. Mais, ce n'est rien en comparaison du comportement des parents. Ils savent précisément ce qu'endurent leurs enfants (la séquence montrant même une mère observant son fils se faire malmené et humilié). Loin de s'inquiéter, ils restent stoïques face à la souffrance de leurs enfants, allant même jusqu'à penser qu'il s'agit du meilleur (et du seul) moyen de les dresser (comme de vulgaires clébards qu'ils sont censés être...). Quand on voit le degré d'abrutissement de ces parents, on comprend malheurseusement mieux ce qui a conduit ces gosses ici.
L'image peut sembler forte mais, en regardant ce reportage, j'ai tout de suite penser aux jeunesses hitlériennes, à son encadrement militaire de jeunes enfants et à son asservissement tant moral que physique. L'image est trop forte ? Et pourtant...
La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée par l'ONU le 10 décembre 1984, concrétise l'interdiction générale de la torture. Les Etats parties ont l'obligation de prendre une série de mesures appropriées pour empêcher et réprimer les actes de torture, et pour protéger les personnes privées de leur liberté contre des atteintes à leur intégrité physique et morale. En outre, selon la Convention internationale des droits de l'enfant de 1989, les États parties s'engagent à assurer à l'enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être . Bien sûr, cette convention interdisant toute condamnation à la peine de mort suite à un crime commis par un enfant de moins de 18 ans, les Etats-Unis de Bill Clinton ont refusé de la ratifier...
En inculquant aux enfants que l'échec n'est pas permis, en leur montrant que la moindre écartade peut les conduire en prison et en leur apprenant que la violence (tant physique que morale) est la seule solution pour eux, on est en droit de se demander ce qu'en attendent le gouvernement américain ? On ne cesse de blâmer le cinéma, les jeux-vidéos ou encore les groupes de heavy metal pour la violence de leurs propos, mais quels répercussions risquent d'avoir cette expérience sur ses enfants ? Avec quels traumatismes vont-ils grandir ?
Quand un adolescent déboussolé viendra une nouvelle fois massacrer ses petits camarades au collège, on justifiera ainsi la prolifération de ces camps de redressement ; sans vraiment chercher à savoir ce qui déraille véritablement dans le système d'éducation américain. Et l'histoire se répètera encore et toujours, c'est une habitude fâcheuse...
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