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LA SHINÉMATHÈQUE

LA SHINÉMATHÈQUE

« La connaissance s'accroît en la partageant. »

The Raid 2

The Raid 2, Gareth Evans

Réalisé par Gareth Evans, sorti le 23 juillet 2014
Titre original : The Raid 2 : Berandal


Avec Iko Uwais, Arifin Putra, Yayan Ruhian, Oka Antara, Cecep Arif Rahman, Julie Estelle, Very Tri Yulisman, Alex Abbad ...

"Après un combat sans merci pour s’extirper d’un immeuble rempli de criminels et de fous furieux, laissant derrière lui des monceaux de cadavres de policiers et de dangereux truands, Rama (Iko Uways), jeune flic de Jakarta, pensait retrouver une vie normale, avec sa femme et son tout jeune fils…. Mais il se trompait. On lui impose en effet une nouvelle mission : Rama devra infiltrer le syndicat du crime, où coexistent dans une sorte de statu quo mafia indonésienne et yakusas. Sous l’identité de « Yuda », un tueur sans pitié, il se laisse jeter en prison afin d’y gagner la confiance d'Uco (Arifin Putra), le fils d'un magnat du crime indonésien - son ticket d’entrée pour intégrer l’organisation. Sur fond de guerre des gangs, il risquera sa vie dans un dangereux jeu de rôle destiné à porter un coup fatal à l’empire du crime..."
 


Mon avis (coup de cœur) :      

Originaire du Pays de Galles, Gareth Evans a toujours été un grand amateur d'arts martiaux. Réalisé en 2003 avec l'aide d’étudiants japonais de l'Université de Cardiff, son premier court-métrage Samurai Monogatari narre ainsi les derniers instants d'un samouraï condamné ; alors que le documentaire The Mystic Art of Indonesia qu'il tourne en 2007 – un an après son premier long-métrage Footsteps (encore inédit en France) – s'intéresse déjà au Pencak Silat, art martial indonésien alors totalement méconnu. À peine deux années plus tard, le cinéaste écrit et réalise Merantau (dont le titre évoque le phénomène socio-culturel de migration volontaire des ruraux vers les grandes villes indonésiennes). Ce petit film de castagne mélodramatique rencontre un joli succès à l'international ; faisant alors découvrir au monde le Silat tout en lançant la carrière de deux futures stars du cinéma d'action indonésien : Iko Uwais et Yayan Ruhian. Fin 2009, Gareth Evans s'attelle alors à l'écriture d'un nouveau long-métrage : Berandal ("délinquant" en indonésien). Le réalisateur et sa femme Rangga Maya Barack-Evans ne parviennent malheureusement pas à réunir les fonds nécessaires pour lancer cet ambitieux projet qui multiplie les scènes d'action complexes et coûteuses. Berandal est donc provisoirement rangé au placard au profit d'un autre film d'action : Serbuan maut (traduisible par "invasion mortelle").

Conçu comme un huis-clos nerveux à l'action resserrée dans un lieu unique, ce long-métrage apparaît de prime abord comme une sorte de plan B pour le cinéaste qui ne veut pas d'un Berandal au rabais. Sortant simultanément aux États-Unis et en Indonésie en mars 2011 sous le titre de The Raid, cette "solution de secours" reçoit alors un accueil triomphal. Très vite, l'encore méconnu Gareth Evans devient donc la nouvelle coqueluche des amateurs de bastons et de bastos qui voient en lui le renouveau du cinéma d'action. Et c'est peu dire si, en dépit d'une intrigue somme toute très sommaire (l'assaut d'un immeuble appartenant à un baron de la drogue par une équipe d'intervention des forces de l'ordre), The Raid va faire sensation à travers le monde. Avec un budget relativement modeste de 1,1 million de dollars, le réalisateur gallois est effectivement parvenu à proposer près d'une centaine de minutes d'action non-stop, enchaînant intenses séquences de gunfights et combats survitaminés avec une maestria qui a de quoi filer de sérieux complexes à bon nombre de productions hollywoodiennes du genre. Alors que The Raid s'offre une très belle carrière à l'international (multipliant par quatre sa mise initiale), l'idée d'une suite germe très rapidement dans l'esprit de Gareth Evans. Celui-ci voit alors l'occasion inespérée d'enfin concrétiser son grand projet Berandal. Il rédige plusieurs versions de son scénario en conséquence, modifie l'histoire, adapte personnages et intrigues jusqu'à obtenir une version définitive à l'automne 2012 de ce qui sera donc The Raid 2 ; avec comme gageure de frapper encore plus fort auprès d'un public qui, cette fois-ci, l'attend au tournant ! *

The Raid 2
"Il revient et il n'est pas content..."

Si The Raid 2 fait directement suite au premier (petit clin-d'œil avec le retour de cet entraînement aux poings où le héros fait preuve d'une incroyable démonstration de vitesse), le réalisateur n'a pour autant pas l'intention de faire dans la redite facile. Alors que le budget serré de The Raid l'avait contraint à enfermer son film dans une triple unité de temps (l'assaut se déroulait quasiment en temps réel), de lieu (un seul immeuble comme unique décor) et d'action (avec une progression narrative linéaire allégée de toute fioriture : en gros, escalader les différents niveaux jusqu'au boss final), les moyens plus confortables mis à disposition ici – de l'ordre de 4,5 millions de dollars – lui permettent de franchir à nouveau cap. The Raid 2 offre ainsi au cinéaste gallois l'opportunité de montrer que, au-delà du merveilleux filmeur d'action qu'il est assurément (on ne compte plus les nombreuses séquences-choc ayant imprimé la rétine des spectateurs du premier film), Gareth Evans est aussi un surprenant raconteur d'histoire(s). Si les toutes premières minutes apparaîtront comme familières aux amateurs de The Raid (une très courte introduction s'intéresse aux rares survivants du précédent épisode tout juste après l'anéantissement du gang de Tama), l'intrigue prend par la suite une direction pour le moins inattendue ;  l'élimination rapide de plusieurs personnages-clés du premier film annihilant de fait toute éventualité d'une poursuite rigoureuse des précédentes trames narratives mises en place.

Le confinement du protagoniste principal en plein cœur d'un milieu hostile et clos au tout début de The Raid 2 (Rama se retrouve incarcéré au sein d'une prison submergée de détenus agressifs) fait bien entendu écho à sa situation précédente (emprisonné dans un immeuble envahi de féroces narco-trafiquants), mais cette "suite" va très vite adopter un angle bien différent ; comme en témoigne les deux premières bastons du film. Car si on n'y voit tout d'abord notre héros combattre à lui seul plusieurs assaillants dans l'espace ultra-réduit et claustrophobique de toilettes sombres aux murs décrépits (un décor déliquescent évoquant fortement The Raid), la seconde bataille apporte une ampleur inédite en multipliant les opposants (le "un contre tous" fait alors place au "tous contre tous") tout en élargissant sensiblement l'envergure du champ de bataille (une vaste cour à ciel ouvert recouverte de boue). Par ailleurs, la volonté de rompre avec la tonalité du précédent opus est également illustrée par la nouvelle identité accordée à Rama. Devenu Yuda – nom emprunté au héros de Merantau (une silhouette dessinée sur un mur fait aussi écho à ce film) – afin d'infiltrer la pègre de Jakarta dirigée par Bangun, celui-ci se voit contraint d'abandonner ses valeurs morales de bon père de famille (touchant aparté téléphonique rompant un court instant avec ce furieux vacarme symbolisé par une assourdissante musique techno) et d'adopter une personnalité diamétralement opposée à celle de l'irréprochable héros qu'il était jusque là. S'enfonçant dans un tourbillon de violence qui l'oblige à une profonde crise de conscience (bouleversante scène dans la salle de bain après le carnage du restaurant), Rama semble progressivement se perdre dans le chaos généré par son maléfique double Yuda (les dernières paroles prononcées par le héros sont d'ailleurs bien plus riches de sens qu'il n'y paraît).

The Raid 2
  "This time, it's war.".

En passant le cap de la trentaine, le jeu de Iko Uwais a significativement gagné en épaisseur. Avec une étonnante justesse, l'acteur indonésien parvient ainsi à parfaitement retranscrire le combat interne que mène ce personnage à la trajectoire complexe. Après une découverte brutale du monde carcéral – une plongée en enfer qui n'est pas sans rappeler le furieux Prison on Fire de Ringo Lam – au sein duquel le respect s'obtient à la force des poings (dans la gueule), Rama devra ensuite gagner la confiance de l'héritier du clan Bangun (et donc s'abaisser à effectuer les plus basses besognes) afin d'être recruter dans l'organisation de son père. Si l'histoire de ce policier infiltré qui noue progressivement une dangereuse amitié avec un criminel mafieux – évoquant à la fois City on Fire de Ringo Lam (toujours) et Donnie Brasco de Mike Newell (et d'autres productions du même genre) – n'est certes pas d'une grande originalité, elle est surtout prétexte à lier The Raid 2 à son prédécesseur. D'ailleurs, à peine Rama enrôlé au sein de la mafia locale, le boss Bangun lui fait bien comprendre qu'il ne sera ici rien de plus qu'un homme de main comme les autres. Indirectement, le réalisateur signifie déjà au spectateur que le "héros" du précédent film n'occupe déjà plus le centre de gravité du récit.

De fait, plus dense, plus complexe, plus ambitieuse, l'histoire de The Raid 2 se développera ensuite assez souvent en marge de la simple destinée de Rama. À l'instar de l'homme sans nom qui – dans Le Bon, La Brute, Le Truand – cédait du terrain au profit de Tuco, Rama semble être progressivement relégué au second plan derrière le personnage de Uco (un nom dont la sonorité est d'ailleurs très proche de lui porté par Eli Wallach chez Sergio Leone). L'acteur indonésien Arifin Putra – dont le charme vénéneux n'est pas sans rappeler celui du sud-coréen Lee Byung-hun (A bittersweet Life, G.I. Joe) – incarne l'héritier du clan Bangun avec une belle authenticité et parvient à être crédible autant dans les séquences d'action – pour lesquelles il dut subir un entraînement intensif lui faisant prendre dix kilos de masse musculaire – que dans les passages plus dramatiques. D'ailleurs, il y a quelque chose de finalement assez touchant dans la spirale autodestructrice dans laquelle ce jeune homme en mal de reconnaissance, et par trop ambitieux, s'enlise. Car, même si ce personnage – arrogant, colérique et cruel envers les femmes – se montre antipathique sur bien des aspects, l'interprétation sensible et nuancée de Arifin Putra permet de ne pas le rendre complètement détestable, et d'ainsi mieux comprendre la relation fascination-rejet qui le lie avec notre héros. Ne supportant plus d'être cantonné à ce rôle ingrat de "fils de" (en témoigne la fureur qui s'empare de lui lors du passage au karaoké), Uco va alors multiplier les mauvais choix et progressivement déchaîner les enfers. The Raid 2 s’inscrit dès lors complètement dans la pure tradition des grandes fresques criminelles – quelque part entre le Johnnie To de Election, le John Woo du Syndicat du Crime et le Francis Ford Coppola du Parrain – et en reprend les principaux codes. Complots, manipulations, assassinats, mensonges et autres traîtrises ponctuent ainsi cet éternel jeu de trônes qui gangrène Jakarta.

The Raid 2
"Peu importe, où, quand et comment, quelqu'un doit payer."

Disposant d'un nombre bien plus important de protagonistes, The Raid 2 prend le temps de développer tout au long de son récit les répercussions des éternelles luttes de pouvoir que se livrent les différentes puissances en présence. Alors que Tama incarnait seul la menace à éliminer du premier film, la figure du mal apparaît ici comme bien plus complexe et nuancée ; se présentant comme une hydre aux multiples visages. L'acteur indonésien Tio Pakusadewo prête donc sa prestance naturelle et son regard impénétrable au charismatique chef de la mafia locale, Bangun. Lassé de ces bains de sang qui lui ont permis d'obtenir le pouvoir sur Jakarta, celui-ci essaie tant bien que mal de canaliser son fils en lui inculquant les vertus de la loyauté et du respect, mais l'impatience de Uco va les conduire sur des routes radicalement opposées. À mesure que le film avance, Bangun semble d'ailleurs davantage faire confiance à son fidèle bras droit, le dévoué et reconnaissant Eka (attachant Oka Antara), qu'à son propre fils qui, de son côté, se rapproche dangereusement du maléfique Bejo (inquiétant Alex Abbad, déjà à l'affiche de Merantau). Avec sa silhouette sinistre et sa démarche maniérée, ce dernier représente de fait la parfaite incarnation de la part des ténèbres dans laquelle sombre inexorablement Uco (comme en témoigne cette glaçante mise à mort collective des cinq captifs rappelant l'exécution similaire du premier The Raid).

Au-delà de marquer un réel point de rupture entre un père et son fils, la scène de médiation entre les deux parrains, indonésien et japonais, illustre aussi le fossé qui se creuse (et ne cesse de se remplir de cadavres) entre les anciens chefs mafieux (épuisés et assagis par des années de tueries) et les jeunes arrivistes (avides de pouvoir à tout prix). Tout comme Bangun, M. Goto – Ken'ichi Endô (Crows Zero de Takashi Miike, 20th Century Boys de Yukihiro Tsutsumi) – incarne cette vision stratégique plus traditionnelle du pouvoir, ici partagé entre deux clans rivaux ayant opté pour l'équilibre d'une alliance. Cette tempérance mesurée s'oppose fondamentalement avec le régime oppressif que Uco et Bejo tentent d'imposer avec force ambition et une absence totale de limites (le speech prononcé par ce dernier en introduction – en forme d'hommage évident à une fameuse scène du Casino de Martin Scorsese – n'est d'ailleurs pas dénuée d'une sublime ironie) ; quitte à mener la ville à une véritable guérilla urbaine – l'importante scène coupée "Gang War" développait par ailleurs cet aspect – et à s'octroyer les services d'une police totalement corrompue menée par le sordide Reza auquel le perturbant Roy Marten prête son sourire trouble. Au milieu de ce récit très dense, aux luttes intestines évoquant à la fois longs-métrages mafieux italo-américains et films de yakuzas, plusieurs figures vont progressivement apparaître dans le récit.

The Raid 2
"Once more into the fray. Into the last good fight I'll ever know. Live and die on this day."

La plus attendue, c'est évidemment celle de Yayan Ruhian. Bien que son personnage déjà culte de Mad Dog ait disparu dans le précédent épisode, le réalisateur tenait à la présence de cet acteur hors normes avec lequel il collabore depuis 2008 (Yayan Ruhian ayant déjà supervisé avec Iko Uwais l'ensemble des chorégraphies de Merantau et The Raid) ; d'autant plus que le rôle de Prakoso existait déjà dans la première mouture de Berandal. Montrant d'une certaine manière quelle pourrait être la destinée funeste de Rama, l'histoire de ce personnage ambivalent représente une sorte d'aparté dans le récit principal. À la fois tueur implacable, mari et père, Prakoso évolue dans un monde violent qui l'éloigne chaque jour un peu plus de sa famille (un isolement affectif qui pèse de plus en plus aussi sur Rama). Yayan Ruhian surprend ici par la qualité de son jeu en réussissant à faire totalement oublier le furieux Mad Dog – ce qui n'était pas une mince affaire ! – et en retranscrivant avec une étonnante subtilité les deux facettes de son héros mélancolique : père de famille touchant lors de la scène du repas avec sa femme, combattant impassible et implacable lors de l’exécution nocturne à un bras – hommage au fameux sabreur manchot de Chang Cheh ? – dans les rues de Jakarta. En quelques scènes majestueuses, Gareth Evans parvient à insuffler une tendresse et une poésie inattendues à ce personnage mélodramatique dans la lignée des grands héros tragiques de John Woo (Une balle dans la tête), Johnnie To (Vengeance) ou même Luc Besson (Léon). À ce titre, il convient de citer ce sublime passage qui débute dans une immense discothèque bleu nuit avant de se poursuivre dans une ruelle recouverte de neige d'un blanc immaculé bientôt teinté d'un rouge sang lugubre (rappelant le combat final du premier Kill Bill entre la Mariée et O-Ren Ishii). Cette séquence onirique d'une rare beauté rare (plan saisissant où le silence d'une improbable songerie fait place à la fureur d'une armée de gangsters) voit son impact renforcer par l'utilisation habile de la magnifique Sarabande de Haendel (clin d’œil évident au crépusculaire Barry Lyndon de Stanley Kubrick).

Outre ce tueur vieillissant écartelé entre le sens de l'honneur de Bangun et l'arrivisme radical de son fils, d'autres nouvelles têtes font ici leur apparition. À commencer par le mercenaire engagé par Bejo que campe Cecep Arif Rahman et dont le surnom "The Assassin" n'a rien d'un hasard. Étant effectivement représenté comme "celui qui assassine Mad Dog", il s'impose d'emblée comme son successeur logique en tant que principal adversaire de Rama. Également à la solde de Bejo, la belle "Hammer Girl" interprétée par Julie Estelle (ancien mannequin de père franco-américain et de mère sino-indonésienne) avec son look lolita idol et son frère "Baseball Bat Man"  incarné par Very Tri Yulisman (mon petit chouchou du film !) avec sa démarche de furyô nonchalant (rappelant Rookies et Racailles Blues de Masanori Morita) semblent quant à eux tout droit sortis de l'univers du manga. Tous deux apportent au film un soupçon de folie décalée très appréciable. Et bien que ces trois personnages soient essentiellement mutiques (le gars à la batte de baseball a quand même une réplique assez savoureuse !), Gareth Evans s'est attaché à les rendre aussi mémorables que possible en les introduisant via d'impressionnantes scènes d'action iconiques montées en parallèle où chacun fait preuve de compétences martiales très variées et d'un style de combat unique, tant dans les techniques déployées que dans les armes utilisées. Si le cinéaste gallois a sérieusement revu à la hausse les exigences de son scénario, en livrant une œuvre nettement plus dense et complexe, il n'a pas oublié pourtant que le spectateur était surtout venu pour voir de la castagne à l'écran. En sortant l'action de The Raid en dehors de l'immeuble tenu par le trafiquant de drogue du premier film, le réalisateur s'empare d'un terrain de jeu sensiblement augmenté qui lui permet de repousser plus loin encore les limites du cinéma d'action et de livrer des combats encore plus épiques (et oui, c'est possible !) à travers une multitude d'environnements : toilettes, restaurants, discothèques, entrepôts, immeubles, cour boueuse, champs, rames de métro, voitures, ruelles et autres boulevards urbains... tout y passe !  Quitte à anticiper quelques lieux pour l'occasion (la première ligne de métro de Jakarta n'ouvrant effectivement qu'en 2018 selon Wikipedia).

"Seule leur mère peut les différencier."

Alors que le premier The Raid (aussi efficace soit-il) se présentait comme une sorte de beat-them-all à l'ancienne dans l'esprit d'un Kung-Fu Master (fameux jeu vidéo qui fit la joie des bornes d'arcade où le héros gravissait les étages les uns après les autres en combattant des ennemis de plus en plus puissants), The Raid 2 se rapproche davantage d'un open-world next-generation bien plus ambitieux à la GTA V (aux environnements plus denses et aux interactions moins linéaires). N'étant alors plus verticalement confinées dans une simple tour d'immeuble, les scènes d'action voient leur horizon s'élargir considérablement, contrebalancées par des séquences dialoguées qui font le lien entre les différents fils narratifs, et des passages plus contemplatifs qui semblent suspendre le temps de cette furie totale (sorte de "calme avant la tempête" si caractéristique des westerns de Sergio Leone). Que ce soit lors de la baston menée par Rama dans l'exiguïté d'une cabine de toilettes, de cette bagarre générale dans la boue (une logistique matérielle et humaine de malade !), du baroud d'honneur de Prakoso dans la neige, de la boucherie du métro par la fille aux marteaux (Julie Estelle ayant dû subir trois mois d'entraînement intensif pour donner corps à ce pendant indonésien de la sadique Gogo Yubari de Kill Bill), de la spectaculaire attaque à la batte de baseball (pour laquelle Very Tri Yulisman fut formé plusieurs semaines par un coach sportif), et de tant d'autres... il n'y a pas un combat qui ne ressemble à un autre (même si le dernier acte du métrage, avec son héros increvable à la John McClane, rappelle l'ambiance du premier film en reprenant à nouveau le principe du Jeu de la Mort de Bruce Lee) .

En tout, ce n'est pas moins d'un an et demi de préparation qu'il aura fallu à Iko Uwais et Yayan Ruhian pour mettre au point ces chorégraphies plus démentes les unes que les autres ; leur extrême complexité expliquant sans mal les près de six mois nécessaire à Garth Evans ensuite pour en tirer le meilleur. En fin connaisseur des plus grands représentants du cinéma hongkongais (de Bruce Lee à Jackie Chan, en passant par Jet Li ou Sammo Hung), ce dernier a d'ailleurs parfaitement su optimiser tous les différents éléments en sa possession (de la gestion de l'espace et des éléments de décors à la diversité des chorégraphies et des armes utilisées), tout en faisant preuve d'une inventivité permanente dans sa façon de filmer l'action (dont l'intensité ne cesse d'aller crescendo) jusqu'à cet hallucinant final d'une dizaine de minutes dans la cuisine  – une folie furieuse ayant nécessité pas moins de six mois d'élaboration et dix jours de tournage ! – où Iko Iwais et Cecep Arif Rahman s'affrontent dans l'un des duels à mort les plus mémorables du cinéma depuis Bruce Lee face à Chuck Norris il y a plus de quarante ans dans La Fureur du Dragon. Non content de nous livrer des combats titanesques, le turbulent Gareth Evans en rajoute une couche à sa déferlante d'action en s'aventurant pour la première fois dans le domaine des poursuites automobiles. Conçues par une équipe supervisée par Bruce Law, spécialiste hongkongais de la question (Le Festin Chinois de Tsui Hark, Thunderbolt de Gordon Chan, Flashpoint de Wilson Yip, ainsi que certaines séquences du Transformers 4 de Michael Bay), et servies par des effets visuels remarquables, ces cascades sont absolument époustouflantes. Tout comme il a su adapter sa mise en scène afin de toujours valoriser la performances des acteurs (épousant chacun de leurs gestes tout en sublimant le moindre de leurs coups), Gareth Evans parvient ici à concevoir des plans qui dépassent l'entendement (il faut voir cette caméra exécuter des mouvements dynamiques incroyablement fluides d'un véhicule à un autre alors même que les passagers ne cessent de se castagner la tronche, de se tirer dessus dans tous les sens, et de s'envoyer valdinguer d'un véhicule en marche).

The Raid 2
"Il était une fois en Indonésie."

Si le résultat n'est évidemment pas aussi spectaculaire qu'une production à gros budget telle que Fast & Furious 5, le long-métrage compense allègrement cette démesure visuelle par une sauvagerie rare qui ne fait jamais dans la demi-mesure et ringardise bon nombre de blockbusters américains (pour un budget 20 fois moins important). À l'instar des personnages d'un Sam Peckinpah (La Horde Sauvage, Chiens de paille) ou d'un Paul Verhoeven (RoboCop, Starship Troopers), ceux de Gareth Evans sont bel et bien composés de chair et de sang ; les dégâts que subissent leur corps s'avèrent donc ultra-réalistes (la plupart des acrobaties réalisées s'est d'ailleurs fait sans recours aux câbles et autres effets numériques). Ayant opté pour approche frontale, le réalisateur n'omet aucun détail ; y compris les plus graveleux lors d'une scène surréaliste dans un sordide hangar de tournage porno clandestin. Ce parti pris consistant à représenter Jarkarta dans toute sa crudité crasse colle parfaitement avec le récit tragique et désespéré de la descente en enfer subie par le héros. Bien que les décors dans lesquels évolue Rama (de la prison poisseuse du début à l'immeuble luxueux de la fin) se font de plus en plus sophistiqués et colorés à mesure qu'il progresse dans la hiérarchie de cet empire criminel (à noter l'excellent travail sur les lumières et la gamme chromatique de Matt Flanery, directeur photo de Gareth Evans depuis son premier long), son univers ne cesse effectivement de s'assombrir (le rouge qui envahit les murs du restaurant guindé de Bejo finit d'ailleurs par ne faire qu'un avec le sang qui les recouvre ; comme une même couleur de mort). Bien plus que le précédent film, The Raid 2 est d'une noirceur totale, et la notion d'espoir  y est – en conformité avec la dureté du monde réel (Benedict approuverait !) – toute  relative.

Singulièrement fourni en terme d'action enragée et d'ultra-violence exacerbée, The Raid 2 ne se contente pas seulement d'être la parfaite extension d'un premier film déjà remarquable en assurant généreusement le spectacle. Si le long-métrage de Gareth Evans s'avère particulièrement réussi, c'est surtout parce que celui-ci a eu l'intelligence de ne pas se contenter de reproduire bêtement la formule gagnante de The Raid (d'autant que l'effet de surprise n'aurait plus eu cours). Bien au contraire, il a ainsi réussi à livrer l'une des rares suites ayant su – à l'instar de Terminator 2, Mad Max 2 ou encore Pusher 2 – dépasser les attentes du spectateur et à le prendre à contre-pied ; parvenant à conserver tout ce qui faisait le charme du premier opus tout en lui apportant, dans le même temps, un traitement résolument novateur. Au final, il serait d'ailleurs inexact d'affirmer que The Raid 2 est meilleur que son prédécesseur, car il est surtout autre (comme chez James Cameron, George Miller ou Nicolas Winding Refn, chaque opus s'abordant de manière très différente). En revanche, il est assurément plus ambitieux, mieux écrit et plus abouti. Et si l'on pourra sans doute chipoter sur l'absence d'un thème mélodique aussi pêchu que le Razors out composé par Mike Shinoda pour The Raid, l'utilisation de morceaux classiques (la fameuse Sarabande de Haendel) et de compositions plus traditionnels (notamment l'instrumental tribale à base de gongs lors du final) lui apporte toutefois, là encore, une toute autre identité musicale ne manquant pas finalement pas de charme (sans parler de l'excellent mixage sonore réalisé – aux studios Skywalker de San Francisco – sur le bruitages qui déboîte sévère). Désormais, il ne reste plus donc qu'à espérer que Gareth Evans parvienne une nouvelle fois à se renouveler avec le très attendu The Raid 3, d'ores et déjà annoncé (ainsi que le remake américain – bon courage les gars... – du premier film), et nous inflige un nouvel uppercut en pleine poire ! BAM !!!

* Au passage, je ne remercie vraiment pas les distributeurs qui ont cru bon sortir The Raid 2 en France (le 23 juillet 2014) plus de trois mois après sa diffusion au Festival international du film policier de Beaune (le 4 août 2014) et sa sortie initiale (programmée pour 16 avril 2014).

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O
<br /> Super papier pour une lecture passionnante. Un grand film ! A déguster en boucle. Autant le 1er est super fun et nerveux. Autant le second volet est un vrai film de cinéma. Une fresque<br /> mafieus-polar intense. A revoir.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Découvrir le film sur son écran de pc ou sur sa tv ne rend pas justice aux incroyables morceaux de bravoure et à la force de ce film.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Je te mets en lien la vidéo promo que l'équipe du film avait fait peu après MERANTAU. Cette vidéo devait servir à trouver des investisseurs. Elle devrait te rappeler une certaine scène de THE<br /> RAID 2.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> http://vimeo.com/35230486<br />
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