Réalisé par Steven Spielberg, sorti le 2 mars 1994 Titre original : Schindler's List
Avec Liam Neeson, Ben Kingsley, Ralph Fiennes, Caroline Goodall, Jonathan Sagalle, Embeth Davidtz ...
"Évocation des années de guerre d'Oskar Schindler (Liam Neeson), fils d'industriel d'origine autrichienne rentré à Cracovie en 1939 avec les troupes allemandes. Il va, tout au long de la guerre, protéger des juifs en les faisant travailler dans sa fabrique et en 1944 sauver huit cents hommes et trois cents femmes du camp d'extermination de Treblinka..."
Immense succès au box-office considéré comme par l'American Film Institute comme l'un des dix plus grands films de tous les temps et couronné de multiples récompenses de par le monde, La Liste de Schindler est l'un des films les plus emblématiques réalisés par l'immense Steven Spielberg. En elle-même, la genèse du film est d'ailleurs très intéressante pour mesurer l'importance de son propos et sa valeur significative. En effet, si Steven Spielberg, très concerné par le sujet, a acquis les droits du livre éponyme de Thomas Keneally dès sa parution (au début des années 1980), c'est d'abord à Martin Scorsese que fut proposé le film. Celui refusa en expliquant que, selon lui, seul un réalisateur juif en serait capable. Le projet fut ensuite proposé à Roman Polanski qui déclina l'offre également, trouvant l'histoire trop proche de la sienne. Il faudra finalement attendre le début des années 1990 pour que Steven Spielberg nous présente sa vision de ce récit hors du commun.
Chef-d'œuvre bouleversant et indispensable pour les uns, représentation outrancière obscène et détestable pour les autres, La Liste de Schindler est un film qui ne laisse personne indifférent. En ce qui me concerne, j'appartiens complètement à la catégorie de ceux qui voit en ce film une réussite majeure. Et j'ai beaucoup de mal à saisir cette haine qu'il a pu susciter par ceux qui reprochaient à Steven Spielberg de sacrifier son sujet sur l'autel du grand spectacle hollywoodien le plus antipathique, en faisant de l'holocauste juif un cupide divertissement. Si chacun est évidemment libre de son opinion, je trouve que ceux-là sont quelque peu passés à côté du film et que leurs objurgations sont amplement infondées ; un film (avec ce que cela suppose de choix artistiques) ne pouvant assurément pas être comparé à un documentaire (qui ne s'intéresse qu'au factuel).
Véritable pierre angulaire de la filmographie de Steven Spielberg, La Liste de Schindler a sans l'ombre d'un doute une importance considérable pour ce génie de la mise en scène qui mis toute son âme dans un film bien de toutes considérations mercantiles. Celui-ci refusa d'ailleurs de recevoir le moindre salaire (qui selon lui aurait été "l'argent du sang") pour ce film et reversa une bonne partie des recettes à des associations de victimes de la Shoah.
Concernant le film, Stanley Kubrick, qui avait dû renoncer à son Aryan's Paper en apprenant la mise en chantier du film de Steven Spielberg, eu à l'époque une réflexion intéressante. Selon lui, La Liste de Schindler n'est pas tant un film sur la Shoah – cette abominable extermination de 6 millions de juif par les nazis – qu'un film sur le récit de survivants – ces 1100 êtres humains échappant à la mort grâce au courage d'un seul. Même au plus profond de cette horreur, il reste quand même un semblant d'espoir et d'humanité. Ne manquant pas de pertinence, cette réflexion du maître ne doit pas pour autant éluder la sincère volonté de Steven Spielberg, à travers ce récit magistralement adapté par Steven Zaillian, de dénoncer cette infamie monstrueuse. Cette infamie que l'humanité ne doit pas oublier, qu'elle ne peut pas oublier.
Afin de simplifier la lecture de cette imposante (mais non exhaustive) analyse d'un film qui me tient énormément à cœur, je vais tenter d'en faire un découpage par principales thématiques. Ainsi, chacun pourra s'y retrouver plus facilement et concentrer sa lecture sur ce qui l'intéresse le plus.
Le cinéma de Spielberg :
Ce que beaucoup condamnent dans La Liste de Schindler revient à remettre en cause tout le cinéma de Spielberg, jusqu'à son intégrité même (puisqu'on le soupçonne d’utiliser un sujet grave à des fins divertissantes, voire mercantiles – divertissement et mercantilisme allant généralement de paire). Personnellement, je trouve qu’il en est rien. Tout comme on a besoin de réfléchir sur la condition humaine ou tout simplement de faire travailler ses méninges, on a besoin de rêver. Steven Spielberg me paraît donc aussi essentiel à me yeux qu’un Stanley Kubrick ou un David Lynch, dont la façon de faire du cinéma diffère quelque peu. En près de quarante ans de carrière, de Duel à Munich, Steven Spielberg s’est essayé à tous les genres : action, horreur, drame, guerre, aventure, comédie, fantastique, science-fiction ... Ce qui lui a permis d’asseoir son statut du plus puissant créatif du septième art ; la simple mention permettant de concrétiser les projets les plus ambitieux. Cependant, sous ses airs assez consensuels, Spielberg fait l’objet d’une très grande controverse entre cinéphiles. Certains l’accusent en effet de faire un cinéma purement commercial, quand d’autres l’admirent et mettent avant les divers sujets politiques ou sociaux complexes qu’il a pu aborder à travers ses films sérieux , mais aussi à travers ses films plus "grand public" ; qu'il s'agisse de guerre, de terrorisme, des risques du clonage, des dérives sécuritaires américaines, de l'esclavage, du racisme, de l'intolérance ou encore de la barbarie. Quoiqu’il en soit et quoi qu'il fasse, l'incontournable metteur en scène ne laisse jamais indifférent. Et si son sens du cinéma et sa maîtrise des outils cinématographiques sont rarement remis en cause – pratiquement tout le monde s’accordant sur le fait que le bonhomme est un technicien hors pair, il y a bien souvent sujet à discussion concernant le traitement qu’il alloue à ses films. C'est d'ailleurs de cela dont il est question avec La Liste de Schindler.
Le traitement du film :
De l’aveu même du réalisateur, Spielberg n'a pas vraiment cherché à rafraîchir la mémoire de ses contemporains en réalisant son film. Il a simplement souhaité raconter, en collant le plus à la réalité, l'horreur de cette période, et la grandeur de l'œuvre de Schindler, homme imparfait dont l’âme sortira grandie par cette prise de conscience qui lui fera sauver près de 1100 juifs du massacre nazi. Pourtant, en filigrane de la prise de conscience de Schindler, c'est à toute l'atrocité et la barbarie du nazisme qu'on assistera. Ce film n’est pas probablement pas la plus grande dénonciation que l’on ait jamais faite des atrocités nazies, mais demeure un formidable hymne à la tolérance, au courage et, plus simplement, à la vie. Certes, c’est un film qui a pour toile de fond la Shoah, mais l'essence de l’histoire est bien liée aux survivants miraculeux de celle-ci.
En décidant de se focaliser sur la véritable histoire de l’ambigu Oskar Schindler (membre du parti nazi et industriel allemand opportuniste qui s'enrichit grâce à la guerre, il va progressivement s’opposer à cette barbarie et devenir le sauveur de près de 1100 Juifs promis à la mort dans le camp de concentration de Plaszow), Steven Spielberg choisit délibérément de montrer les atrocités de la Shoah en prenant comme point d'observation un allemand, plutôt que celui des victimes. Oskar Schindler va donc servir de point d'ancrage à l'humanité, et le réalisateur pousse le spectateur à s'identifier à ce personnage troublant, et le forcer à ressentir les mêmes émotions face à ce génocide s'opérant en face de ses yeux.
Le film constitue en ce point une réflexion spirituelle forte sur ces évènements dont nous sommes ici les témoins. Avant même que Steven Spielberg ne tourne son film, chacun d’entre nous savait que le massacre des juifs était un acte abominable et révoltant. Mais, à mesure que le film se déroule, vient implacablement ce sentiment d'impuissance face à l'ampleur du phénomène : Qu’aurions-nous fait ? Comment agir pour le bien de tous ? Aurait-on pu sauver tout le monde ? Certainement pas. Qui sauver dans ce cas ? Car, sauver une vie reviendrait à choisir celle-là plutôt qu'une autre ? Pourquoi certains mériteraient plus de survivre que d'autres ? Parce qu'ils sont essentiels ? Essentiels à quoi ? À qui ? Inégalité, injustice, frustration. Autant de questions que l'on se pose et que le véritable Oskar Schindler s'est posées. Comme si la survie de l'humanité entière se jouait sur la réponse à une simple question, à une absurde partie de dés. Et ce cheminement est autrement plus efficace que si Steven Spielberg nous avait gratifié d'une histoire tragique à propos d'une victime parmi les millions que firent les nazis. Non, ici, ce n'est pas l'histoire d'une âme torturée au milieu des autres : on contemple le génocide dans son ensemble, l'horreur dans son unilatéralité assassine. Et là, tout est dit. Ce n'est pas de la compassion gratuite que distille la pellicule, c'est du dégout pour l'humanité toute entière. Et pourtant, l’espoir subsiste et l’humanité est encore riche d’innocence et d’actes de bravoure remarquables.
Outre une immersion plus facile dans la réalité de l’époque et un certain recul par rapport à la violence des images, le noir et blanc ne préjudicie pas l’intensité des émotions évoquées, qui demeure parfaitement palpable, et ajoute même de la crédibilité à l'ensemble (surtout qu'il est admirablement sublimé par la photographie magnifique du fidèle Janusz Kamiński). Ici, tout est gris, à l’image de cette guerre où le désarroi et la douleur semblent avoir fait disparaître toutes les couleurs de la vie, pour n'en laisser que la misère, la mort et la destruction. Le tableau est ouvertement pessimiste, mais il reste de l’espoir au fond de ce chaos. Et cette étincelle de vie, c'est une petite fillette, sorte de Petit Chaperon vétu d'un manteau rouge qui la symbolisera (le rouge de l'amour, mais aussi celui du sang). Non, tout n'est pas perdu, l’espoir est encore possible. Il s’agit donc d’une petite fille, une petite fille qui ne fait que passer, qui n'est qu'un détail parmi tant d'autres. Mais elle est là, et c'est le plus important. Cette petite vie frêle, innocente, qui n'est pas encore touchée par l'amoralité d'une guerre sans merci, de ces loups qui prennent le nom de "nazis". La guerre n’a finalement pas tout ravagée, cette lueur d’espoir innocente ne demande qu’à s’épanouir. Et cette petite fille sera l’une des témoins directs des atrocités de cette guerre. Non, le réalisateur n'utilise pas l'horreur pour faire du cinéma ; il utilise le cinéma pour dénoncer l'horreur d'une humanité qui semble s’être déshumanisée. Comme toujours, l'enfance tient une rôle central pour Spielberg.
Le message du film :
L'extermination des juifs est extrêmement pénible, et délicate, à évoquer ; et Steven Spielberg n'épargne pas la sensibilité de ses spectateurs. Il montre dans toute son horreur la brutalité nazie. Le spectateur, impuissant assiste ainsi à la liquidation du ghetto de Cracovie (abominie absolue, où tout semble anéantie, symbolisée par la scène où Oskar Schindler apparaît devant les casseroles vides alignées dans son usine désertée). Lorsque les survivants sont rassemblés au camp de travail de Plaszow, l'impitoyable Amon Goeth va anéantir leur espérance d’un répit dans l’horreur en tuant de son balcon deux ouvrières choisies au hasard. Celui-ci va par la suite multiplier ses exactions, mais certains en réchapperont miraculeusement ; à l’image de ce rabbin miraculeusement sauvé par l’enrayement de l’arme de l’officier allemand. Cette issue imprévue permet au spectateur de ressentir une certaine forme de soulagement au cœur cet enfer destructeur. Cependant, la sélection dans le camp où seront éliminés ceux qui ne sont plus "aptes" au travail illustre une nouvelle fois dans quelle réalité effroyable nous nous situons. Les victimes de cette épreuve resteront pourtant anonymes et Spielberg nous montrera seulement les réactions des femmes qui ont échappées à la sélection et sont en train de se rhabiller. Soulagement de très courte durée puisqu’elles s’apercevront que les gardes ont embarqué leurs enfants sur des camions. La caméra s’attardera alors sur un gamin qui tente de fuir aux nazis en se réfugiant dans des latrines remplies à ras bord. Deux sentiments, presque contradictoires, cohabitent alors : l’horreur et le soulagement. L’horreur de la situation pour ceux que la sélection a éliminés, et le soulagement (teinté cependant d’un malaise certain) pour ceux qui viennent d’échapper à la mort. En s'attardant sur des personnages qui nous sont rendus familiers et en laissant les victimes dans l'anonymat, Spielberg focalise notre attention sur le destin de ces survivants qui deviennent de plus en plus des exceptions. Il convient au passage de saluer la maîtrise de Michael Khan dont le montage est exemplaire.
L’horreur est pourtant bien présente dans la séquence suivante où Oskar Schindler s'efforcera d'arroser les wagons stationnant en plein soleil, malgré les sarcasmes des nazis. Là encore, les victimes resteront plongées dans l’ombre, alors que la caméra s’intéressera à Schindler, dont l'héroïsme devient manifeste. Après son arrestation, ce dernier assistera à une scène effroyable où les nazis essayent d'effacer les dernières traces de leurs crimes. Dans ce gigantesque bûcher de flammes et de corps, l'industriel allemand reconnaîtra notamment la petite fille vêtue de rouge qu'il avait vu déambuler dans le ghetto de Cracovie. C'est à ce moment que Goeth lui apprend la liquidation prochaine du camp de Plaszow et le départ des détenus pour Auschwitz. Cette annonce dans ce décor apocalyptique suscite une très forte tension chez le spectateur. L’espoir semble s’envoler, l'extermination est programmée, et nous pouvons désormais craindre le pire. Schindler va engager une négociation décisive avec Goeth et obtenir par la corruption le transfert de ses ouvriers vers le camp spécialement aménagé de Brinnlitz. Un basculement décisif s’opère dans le récit qui se concentre désormais sur un groupe de personnages pour lesquels l'espoir apparaît de nouveau possible. L'arrivée des hommes à Brinnlitz semble confirmer cet espoir naissant, mais l’arrivée des femmes à Auschwitz nous rappellera brutalement que l'horreur est toujours présente. Même si une courte séquence insérée nous avertit qu'il s'agit d'une erreur administrative, le pire est à craindre lors de la scène qui suit.
La fameuse scène des "douches" :
Durant tout son film, Spielberg à chercher à coller au plus proche de la réalité historique en restant extrêmement proche de ses sources avouées (le livre éponyme de Thomas Keneally) et de ses sources documentaires (les travaux du spécialiste de la Shoah, Raul Hilberg). Ce respect de la vérité historique ne doit cependant pas cacher l'important travail de mise en scène de Spielberg, travail dont les effets dépassent largement le souci d'authenticité. L'exemple de la scène des douches à Auschwitz (que chacun assimile légitimement aux terribles chambres à gaz : ce qui s’avèrera ne pas être le cas) permet de mesurer l'importance de ce travail. Thomas Keneally décrit cette scène ainsi : "Elles (c'est-à-dire le groupe de femmes de La Liste de Schindler) pataugèrent dans la boue jusqu'à la salle d'épouillage et de douches où des femmes, matraque en main, leur donnèrent l'ordre de se déshabiller. Mila Pfefferberg, qui, comme la plupart des prisonniers des camps, avait entendu parler des pommes de douche dont sortaient des gaz mortels, poussa un soupir de soulagement quand l'eau glacée se mit à couler." Ce qui est résumé en une phrase devient une longue scène où l’on suit le groupe de femmes, aux visages terrifiés. Une lourde porte apparemment étanche se referme sur elles et la lumière s'éteint inexplicablement au moment où regards et caméras se portent vers les pommes de douches au plafond. La mise en scène de Steven Spielberg est clairement destinée à favoriser la participation émotionnelle du spectateur, à provoquer sa peur, son angoisse et finalement son soulagement lorsqu'il constate que c'est bien de l'eau qui s'écoule de ces douches. Effectivement, le film ne vise pas seulement à dire une vérité, mais aussi à produire des effets comme la participation subjective du spectateur : l'émotion, l'identification, la peur, le soulagement... Ce qu’on lui a surtout reproché. Bien qu'abominable, cette séquence n'est pourtant pas une pure utopie sortie de la tête du réalisateur. Aussi effroyable qu'elle puisse être, certains survivants des camps de la mort en ont confirmé son authenticité (à l'instar de Primo Levi qui relate son expérience dans le bouleversant Si c'est un homme).
Au moment où nous découvrons la dernière et la plus monstrueuse des étapes du processus de destruction des juifs, nous nous identifions intensément à celles qui miraculeusement viennent d'y échapper. En amenant le spectateur à s'identifier à un groupe de rescapés, Spielberg lui apporte finalement le soulagement d'échapper à une situation terrifiante et de participer à l'émotion d'une reconnaissance fraternelle (particulièrement accentuée dans la dernière séquence qui nous montre acteurs et personnages réels mêlés venant se recueillir sur la tombe de Schindler). Évoquant l'intolérable extermination de tout un peuple, il parvient, après une véritable descente aux enfers, après des moments extrêmement durs et éprouvants pour le spectateur, à lui faire éprouver un intense sentiment de soulagement. Spielberg a sans doute rendu supportable à la plupart d'entre nous l'évocation de l'insupportable. Il suffit justement de comparer La Liste de Schindler à Shoah. Claude Lanzmann laisse une toute autre impression. Il ne se préoccupe que des morts, et l’impression générale est celle de l'horreur absolue. Sur l’Holocauste, Spielberg, avec son tempérament humaniste (et presque naïf), ne pouvait faire qu’un film éminemment optimiste. C’est pourquoi l’histoire de Schindler, avec tous ces juifs improbablement sauvés, était pour lui le sujet rêvé. L'espoir est partout ; même dans l'horreur absolue. Cette scène est donc à l'image de son film. Aurait-elle dû être supprimée, et le film paraître ainsi plus sombre ? À chacun d'y apporter sa propre réponse. Le film de Steven Spielberg n'a peut être pas la noirceur du film Le Pianiste de Roman Polanski, mais son intention philanthropique est tout aussi louable. Sa démarche est sincère, sa naïveté à chercher l'espoir touchante. Certains, comme Claude Lanzmann donc, ont trouvé cela obscène (il faut avouer que le sujet est terriblement délicat), mais ce constat est loin d'être unanime ; comme en atteste les témoignages des survivants, l'accueil massivement positif de la critique et des spectateurs, ou encore les réactions de mes proches qui ont été touchés par ce film – qu'ils considèrent comme un véritable devoir de mémoire pour ce qu'ils ont vécu. Et c'est comme cela en tout cas que j'ai appréhendé le film. J'ai véritablement été ému par les évènements qui sont traités et la manière dont Spielberg filme l'horreur, mais aussi, et surtout, l'espoir.
La portée du film :
L'espèce de soulagement que nous éprouvons à la fin du film ne fut bien entendu pas celui des rares rescapés du génocide. En 1945, on estime que près de 91 % de juifs polonais (soit environ 3 millions de personnes) ont été massacrés. À cette échelle, chaque survivant devait compter des dizaines, sinon des centaines, de morts dans sa famille, ses proches, ses amis. Ces survivants avaient le plus souvent perdu tous leurs biens, et ils n'avaient plus aucune place dans les décombres de la Pologne de l'après-guerre. En outre, s'ils avaient survécu, ils étaient passés par les épreuves les plus terribles : celles de la faim, de la peur, de l'humiliation, de l'abaissement le plus extrême. Dans ces conditions, on comprend que les sentiments de ces rescapés, pour autant qu'on puisse les reconstituer, étaient sans doute fort éloignés du soulagement qu'exprime le film de Spielberg et mélangeaient de façon complexe l'impression d'un désastre total, la solitude, l'abandon, la honte même d'avoir survécu quand tous les proches étaient morts, l'avilissement parfois d'avoir survécu dans des conditions aussi humiliantes, la volonté aussi de témoigner ou au contraire d'oublier, l'incapacité en même temps de transmettre une expérience étrange et monstrueuse.
Il est extrêmement injuste j'estime d'affirmer que La Liste de Schindler constitue (comme j'ai pu l'entendre et le lire) un "divertissement" du même type que Jurassic Park ; où le soulagement succède également à la terreur. Le film de Spielberg obéit à une exigence de vérité, de témoignage, d'éducation (même pour un large public). Ce n'est pas un simple pop-corn movie. Les émotions qu'il procure, les effets qu'il produit restent cependant très éloignés de l'expérience dont il essaie de rendre compte et qui reste en définitive indicible. Mais, en effet, peut-on réellement décrire l’inimaginable ? L'humanisme, presque naïf, de Spielberg l'a poussé à nous démontrer, avec un sujet sensible (très sensible, trop sensible), qu'il y a toujours une place pour l'espoir, même dans les périodes les plus sombres (le message du film est assez clair, et plutôt utopique, à ce sujet - comme la façon de faire de Spielberg : "celui qui sauve un homme, sauve l'humanité toute entière"). Là encore, Steven Spielberg nous prouve qu'il est profondément optimiste et croît en la valeur de l'être humain. Même au milieu de l'horreur que constitue cet atroce génocide, on peut trouver une part d'humanité que l'on appelle "espoir".
Après la vision de son film, certains survivants du massacre ont été émus et d'autres choqués par la manière dont Spielberg a réalisé son film. Preuve, s'il en est, qu'il n'y a donc aucune évidence dans l'émotion forte et sincère que ressentent ceux qui témoignent. C'est plus une appréciation personnelle du récit selon ses codes émotionnelles qui permet d'arriver à un résultat ou à un autre. Pourtant, il serait illusoire et profondément naïf pour croire qu'un simple film suffirait à une prise de conscience collective du monde occidental (ou même d'ailleurs). Car oui, après La Liste de Schinder, il y a eu les massacres du Rwanda. Mais, ni Steven Spielberg avec son film, ni Claude Lanzmann avec Shoah, ni Roman Polanski avec Le Pianiste, ni encore Roberto Benigni avec La vie est belle n'ont par exemple empêcher le scandale du Darfour. Un film, aussi puissant et grave soit-il, n'est sûrement pas suffisant pour stopper la barbarie dont l'humanité est capable. Avant la vision de film de Kevin Macdonald, Le dernier roi d'Écosse, je connaissais très mal la cruauté avec laquelle le dictateur Idi Amin Dada avait imposé un régime de terreur en Ouganda, en tuant plus de 300 000 personnes en une décennie seulement. Pourtant, vais-je vraiment, moi et d'autres, tout mettre en œuvre pour stopper les tragédies en cours et à venir ? Si ce film a éveillé ma conscience, va-t-il vraiment me pousser à agir ? La dernière réflexion de Schindler ("j'aurai pu en sauver un de plus et je ne l'ai pas fait") illustre bien la faiblesse des trop nombreux qui n'ont rien fait pour empêcher cette horreur, ou du moins pas assez. Schéma qui se reproduit inexorablement au fil de l’Histoire. Et maintenant, que vais-je faire ? Qu'allons-nous faire ? Je n'ai pas réponse malheureusement... Et vous ?
Commenter cet article