De tous les bijoux du septième art, il y en a certains qui ont plus d'éclat, qui dégagent quelque chose de plus, quelque chose d'indéfinissable qui rend ces films intemporels. Ainsi peut-on citer au rang des inoubliables les réussites fondamentales que furent Casablanca, Lawrence d'Arabie, La Nuit du chasseur, Il était une fois dans l'Ouest, Elephant Man ... ou plus récemment Edward aux mains d'argent, Pulp Fiction, Fight Club, American Beauty ou encore La Liste de Schindler (c'est dans ces moments-là que je me rend compte que j'adore quand même vachement beaucoup le cinéma anglo-saxon... ^^). Bien sûr, tout ceci est complètement subjectif et tout le monde ne perçoit pas ces films de la même façon. Certains les adorent, d'autres pas... et c'est très bien ainsi ! Accordons-nous simplement à dire qu'il s'agit de "grands classiques" du cinéma que tout cinéphile digne de ce nom se doit d'avoir vu au moins une fois dans sa vie. Parmi ceux-là, Chantons sous la pluie a tout à fait sa place et s'impose même comme l'un des plus grands films de tous les temps (et oui rien que ça ! mais ce n'est évidemment que mon avis...). Difficile en effet de rester insensible devant ce merveilleux film, bénéficiant d'une mise en scène incroyablement inventive pour l'époque, d'un casting sans fausse note, d'une bande originale merveilleuse et de moments d'anthologie ; à l'instar de celui qui donne son titre au film et fait incontestablement partie de l'imaginaire collectif (en effet, ceux qui n'ont pas vu le film connaissent néanmoins cette fabuleuse séquence où Gene Kelly fait un numéro de claquettes sensationnel dans des rues gorgées de pluie). Pour l'anecdote, on raconte que cette scène fut tournée par un Gene Kelly fiévreux sous une pluie faite d'eau et de lait mélangés afin de rendre plus visible cette averse torrentielle à l'écran. Le résultat est tout simplement magique !
Bref, revenons à ce film qui est donc l'un des rares à pouvoir se prévaloir de cette appellation – certes galvaudée mais très appropriée en l'espèce – de "chef-d'œuvre". Diamant scintillant d'une infinité pureté et d'une maîtrise prodigieuse, Chantons sous la pluie est un film admirable (les qualificatifs me manquent...) qui donne une incroyable pêche à chaque visionnage : le feel-good movie par excellence ! D'ailleurs, dès le générique – qui a servi de base à l'affiche que vous pouvez voir un peu plus haut – le ton est donné. Nos héros marchent sous une pluie battante, mais le ciel est pourtant d'un étonnant bleu intense. Ce contraste est renforcé par le jaune vif des cirés des acteurs et contribue à renforcer l'impression d'enthousiasme et de gaîté de ce générique. À l'instar des comédies musicales de l'époque, il s'agira donc avant tout d'un film profondément heureux, coloré et optimiste, un formidable hymne à la vie, une vie dansée et chantée à la joie triomphante. Un parfait remède contre la morosité et la déprime ambiantes en somme ! Good morning, good morning to you ! Conjointement mis en scène par Stanley Donen et l'inimitable Gene Kelly, Chantons sous la pluie est en fait leur deuxième réalisation après Un jour à New York, quelques années plus tôt. À l'instar de All I do is dream of you, You were meant for me ou Would you, un certain nombre de chansons présentes dans le film lui sont antérieures. L'inévitable chanson éponyme Singin' in the rain a ainsi été écrite par Arthur Freed (par ailleurs producteur du présent film) et composée par Nacio Herb Brown en 1929. Elle figurait déjà dans le film musical Hollywood Revue of 1929 de Charles Reisner et Gene Kelly, qui l'a reprise ici (ne changeant que quelques paroles). En fait, j'ai appris récemment que le scénario fut défini après que les chansons furent choisies ; les scénaristes durent donc imaginer une histoire dans laquelle ces chansons s'inséreraient parfaitement. En voyant le résultat, on ne peut que saluer leur talent et leur imagination. Ce qui aurait pu n'être qu'une banale comédie musicale filmée s'est mué en formidable film à part entière, fourmillant d'idées lumineuses ; à commencer par son casting.
Tout d'abord, il y a le charismatique Gene Kelly qui personnifie le personnage central du film : Don Lockwood. Partie de rien, le héros du film s'est progressivement imposé comme une star adulée et bondissante du cinéma muet. Avec l'arrivée du parlant, et sa rencontre avec la jeune Kathy Selden, il va profondément remettre en question ses talents artistiques. Celle-ci lui reprochant alors le caractère superficiel du métier de comédien de muet grimaçant qui n'a pas la grandeur du véritable artiste qu'est l'acteur de théâtre (ce qu'elle prétend être, évidemment). Séducteur au sourire ravageur et plein de bonne humeur, Gene Kelly a une classe tout bonnement incroyable. Il danse et chante avec un talent immense, rayonne littéralement à l'écran, élabore des chorégraphies hallucinantes et va même jusqu'à co-réaliser ce merveilleux film... Sans cet homme orchestre indispensable, il va s'en dire que le film n'aurait pas été aussi enchanteur. L'énergie qu'il apporte à la séquence "Singin' in the rain" est remarquable. Dans cet instant résolument optimiste, son personnage fait fi de ses problèmes (évidemment symbolisés par cette pluie diluvienne) avec une profonde liberté (il danse sur chaque recoin de la rue) et un enthousiasme immédiatement communicatif ; il est d'ailleurs amusant d'observer – post-synchro oblige – le très léger décalage de son subsistant entre les pas de claquettes de Lockwood et le bruit associé que l'on entend (petit "défaut" facilement pardonnable tant le film est irréprochable par ailleurs).
I'm singing in the rain !
Encore peu connue à l'époque, la carrière de la jeune Debbie Reynolds fut véritablement lancée par ce film. Son personnage, Kathy Selden est une fille simple, plutôt (très) jolie, mais assez loin des strasses et paillettes du tout Hollywood. Assez peu sûre d'elle, elle feint ne pas reconnaître Don Lockwood et s'invente un destin plus glorieux que celui de toutes les midinettes qui courent après la star. En fait, la vérité est tout autre et son métier n'est pas aussi prestigieux qu'elle ne le laisse entendre (un travestissement enjolivé de la réalité dont usera aussi Lockwood – sur le ton très décalé de l'ironie – pour donner un peu plus de "dignité" à sa propre légende). Peu confiante donc, mais ne manquant pas de caractère, cette jeune fille va découvrir l'impitoyable monde du show-business à travers la relation complexe qu'elle va lier avec Lockwood. Avec une grâce infinie, Debbie Reynolds interprète à la perfection cette fausse ingénue. Peut-être pas aussi à l'aise en danse que ces deux complices – il faut dire aussi que celle-ci ne savait pas danser à l'origine (au grand dam d'un Gene Kelly pas toujours très tolérant durant le tournage) – Debbie Reynolds s'en sort pourtant remarquablement bien lors des différentes chorégraphies la mettant en scène. Son passé de gymnaste l'a certainement beaucoup aidé ; sa rencontre fortuite avec Fred Astaire – qui tournait dans le studio voisin et n'hésita pas lui prodiguer quelques précieux conseils (excusez du peu !) – fit le reste. Au-delà de ces numéros de danse, l'actrice est juste irrésistible de charme et de tendresse (on ne comprend aisément qu'elle fasse ainsi chavirer le cœur de notre héros).
Viens ensuite mon personnage préféré du film : Cosmo Brown, incarné par le virevoltant Donald O'Connor. Ce type est vraiment incroyable. Malgré toute l'admiration que je peux avoir pour l'immense Gene Kelly, je dois bien avouer qu'il est celui qui m'a le plus impressionné ! Ami de longue date de Don Lockwood dans le film, Cosmo a toujours été à ses côtés et a suivi son ascension vers la gloire et la célébrité. Bien qu'il ne soit pas aussi reconnu que Lockwood, il ne semble guère s'en soucier. Au contraire, il s'accommode même tout à fait de son relatif anonymat et se passe sans mal de tous les tracas que la célébrité engendre. Un brin frivole, Cosmo n'en demeure pas moins un ami sincère sur lequel on peut compter. Toujours prêt à remonter le moral de son ami Don – comme dans l'hallucinante séquence "Make them laugh" (l'une de mes favorites) ; si éprouvante qu'elle contraindra l'acteur à prendre trois jours de repos pour s'en remettre (et que, la première prise ayat été ratée, il devra tout de même refaire à son retour) – Cosmo sait surtout faire preuve de malice et d'une grande ingéniosité (c'est d'ailleurs lui qui soufflera à Don cette idée lumineuse pour moderniser The Dueling Cavalier, et ainsi le sauver du fiasco annoncé). Inspirant une joyeuse bonhomie dès que son sourire jovial irradie l'écran, Donald O'Connor est un véritable clown capable des plus folles acrobaties et dont les grimaces appuyées ne sont pas sans évoquer les anciennes vedettes du cinéma muet (héritage ô combien précieux d'une famille travaillant dans le music-hall lorsqu'il était plus jeune). Malgré tout le talent du bonhomme (qui reçut d'ailleurs un Golden Globe mérité pour ce rôle), je reste très étonné de sa faible notoriété actuelle dans notre hexagone. On parle souvent, et à raison, des talents de Gene Kelly. Mais je trouve qu'on oublie bien vite ce formidable comédien qui partagera notamment l'affiche du film musical La Joyeuse Parade de Walter Lang avec Marilyn Monroe peu de temps après...
Make 'em laugh ! Don't you know everyone wants to laugh ?
Outre ce trio de choc époustouflant, il existe un autre personnage qui, bien que délicieusement exécrable, est tout aussi indispensable. Il s'agit bien entendu de la "méchante" du film, l'horripilante Lina Lamont. Particulièrement stupide, égocentrique, capricieuse et vile, Lina Lamont est en effet très agaçante. Véritable archétype de la blonde glamour nunuche que les hommes désirent et que les femmes jalousent, Lina formait un couple de cinéma légendaire à l'époque du muet. Laissant l'image d'une personne distinguée auprès de ses admirateurs, c'est en fait une véritable enfant gâtée aussi insupportable que sa voix stridente et sossotante. Un joli contraste qui risquerait bien de surprendre (et pas en bien) ses fans lors de son prochain rôle... parlant ! Alors que ce personnage possède tous les traits de la caricature facile, l'interprétation toute en finesse de la resplendissante Jean Hagen rend Lina très attachante et plus complexe qu'il n'y parait à première vue. En outre, l'actrice met tout son potentiel comique au service de son personnage. Ce qui nous permet de savoureuses séquences à l'image de ces passages hilarants montrant la prise de son pour le moins archaïque de ce nouveau genre de film (avec les drôles de battements entendus et les positionnements incongrus du micro) et le résultat atypique présenté en projection privé (où le son se désynchronise totalement et où les bruitages se font un peu trop lourdement entendre). Cette scène en particulier est d'une incroyable ingéniosité et demeure un instant rare de pur bonheur où l'on rit de bon cœur.
Bien sûr, on ne saurait oublier la présence de la divine Cyd Charisse (qui nous a malheureusement quitté récemment). Très célèbre depuis sa participation à Ziegfeld Follies aux côtés de Fred Astaire en 1946 (un clin d'œil y est ici d'ailleurs fait), son nom est bien mis en évidence durant le générique d'ouverture alors qu'elle ne fait une apparition (et ne prononce pas un mot) que de quelques minutes dans le film. C'est dire la popularité que cette sublime artiste avait déjà à l'époque ; son le seul nom suffisant à attirer les foules. Danseuse à la plastique parfaite et aux jambes renversantes, Cyd Charrisse incarne dans cette séquence un peu à part du film toute la sensualité et le mystère de la femme fatale inaccessible. Dans cette séquence appelée "Broadway Melody", Cyd Charisse est tour à tour énergique et brûlante, sensuelle et envoûtante. Complètement déconnecté du récit – la séquence a été ajoutée in extremis alors que le tournage initial était terminé – et tout à fait hors du temps (même si ça n'a en l'espèce aucune importance, on imagine assez mal comment ce passage pourrait s'insérer dans The Dueling Cavalier), cet enivrant ballet nous entraîne dans plus d'une dizaine de minutes absolument euphorisantes. Véritable film dans le film, cette saynète musicale nous narre une histoire pleine d'onirisme et de volupté, de son introduction à sa conclusion. Gene Kelly et Cyd Charisse y sont divins, les couleurs flamboyantes, les chorégraphies élégantes, la légèreté et la grâce omniprésentes. Un pur moment de magie où le plaisir d'écoute n'a d'égal que le délice des yeux, une parfaite symbiose qui embrase littéralement les sens. Sans cette séquence inoubliable, il va sans dire que le film perdrait une grande partie de son âme...
Un pas de deux sublime tout en sensualité et séduction...
Mais plus encore que l'une des plus grandes – la plus grande ? – comédies musicales de tous les temps, Chantons sous la pluie est surtout un film formidable au scénario brillant et qui a presque valeur historique. Illustrant à merveille le bouleversement total qu'a subi l'industrie du cinéma après la sortie du premier long-métrage parlant en 1927, Le chanteur de Jazz d'Alan Crosland, Chantons sous la pluie en suggère toutes les difficultés techniques (avec beaucoup d'humour comme on l'a vu un peu avant) et humaines (certaines vedettes ne se remettront d'ailleurs jamais de ce passage du muet au parlant ; à l'instar des célébrissimes Buster Keaton ou encore Harold Lloyd). C'est à une toute nouvelle façon de jouer que les acteurs auront à faire face avec l'arrivée du parlant ; les textes prenant progressivement une importance primordiale. En outre, le film épingle la superficialité qui caractérise déjà le monde du cinéma. Les décors sont factices, les cascades réalisées avec trucage, les acteurs sont doublés, les sons sont retravaillés en studio... Dans ce monde d'illusion, rien ne semble réel. Et pas seulement en coulisses puisque la production n'hésite pas à instrumentaliser la vie privée de ses vedettes, espérant accroître le succès de ses films en laissant croire au public que les deux acteurs forment un couple aussi bien à l'écran qu'à la ville. Le long-métrage n'est d'ailleurs pas tendre avec les producteurs et les contrats très astreignants qu'ils imposaient alors à leurs poulains (comme le montre celui dans lequel la pauvre Kathy semble emprisonnée). Bien entendu, le film étant éminemment optimiste : à la fin, la morale est sauve. Good morning, good morning to you !
Pour conclure, si vous ne connaissez pas ce grand classique du septième art, je vous invite vivement à le faire. Même pour les allergiques des comédies musicales et des vieux films, ce film est à découvrir tant il n'a rien perdu de sa superbe au fil du temps. Au contraire, le poids des années semblent, comme le bon vin, lui donner une saveur inégalable. D'ailleurs, quand on pense que ce film ne remporta pas un seul Oscar (malgré les nominations ô combien justifiées de Jean Hagen à celui de "meilleure actrice de second rôle" et Lennie Hayton pour celui de "meilleure musique de comédie musicale"), alors que Chicago de Rob Marshall (clairement moins exaltant) en obtint six, on a de quoi s'interroger sur la pertinence des choix de cette institution. Enfin bref : autres temps, autres mœurs j'imagine. Il a en tout cas parfaitement su ravir mon suffrage et serait sans conteste – si je ne devais n'en choisir qu'un seul, et si la situation se présentait – le film que je projetterais si j'avais à inaugurer une salle de cinéma ; tant Chantons sous la pluie est, à mes yeux, la quintessence même de ce que représente le cinéma. Celui que j'aime, qui m'enthousiasme, me rend heureux et me fait rêver. En somme, celui que j'aimerais partager.
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