Je ne sais pas si vous pensez la même chose que moi, mais je trouve que certains réalisateurs n'ont pas la renommée qu'il mérite. Parfois, leurs films sont plus connus que leur nom. Parfois même, les deux ont été oubliés au profit d'autres réalisateurs plus réputés (et pas forcément meilleurs à mon avis). À travers, cette rubrique, j'essaierai donc de vous faire partager mon affection pour ces artistes dont on ne parle pas assez à mon goût. Aujourd'hui, il sera question de l'un des plus grands orfèvres du septième art, le touche-à-tout génial Robert Wise !

Né le 10 septembre 1914 à Winchester dans l'Indiana, Robert Wise est l’exemple même de l’artiste sous-estimé. Son cinéma n’avait peut-être pas la virtuosité de celui d’Orson Welles ou d’Alfred Hitchcock (quoique La Maison du Diable pourrait vite me faire mentir), mais cela n’empêchait certainement pas ce touche-à-tout bourré de talent (à la fois réalisateur, producteur, monteur et technicien du son) d’être l’un des artisans les plus passionnants d’Hollywood ; un cinéaste ayant à cœur de sonder toutes les parcelles de l’âme humaine et dont l'efficacité imparable de la narration primait sur les effets de style. En outre, si le réalisateur était malheureusement de ceux dont ne retient pas le nom, on ne peut incontestablement pas en dire autant de ces films ; dont une grande partie demeure encore aujourd’hui fortement ancrée dans les mémoires de tout bon cinéphile un tant soit peu avisé. En effet, lorsqu’il s’éteint à Los Angeles le 14 septembre au bel âge de 91 ans, Robert Wise laisse derrière lui d’innombrables chefs-d’œuvre dont le septième art a largement de quoi se glorifier. Les deux exemples les plus fameux, ceux sur lesquels on s’attarde le plus souvent, sont indéniablement ces formidables succès que furent La mélodie du bonheur (5 Oscars) et West Side Story (10 Oscars). Et pour cause, ces deux long-métrages (c’est le cas de le dire puisqu’ils s’étalent sur près de trois heures) sont sans l’ombre d’un doute ceux qui ont le plus cartonné au box-office et ceux qui, de surcroît, ont permis à Robert Wise d’obtenir l’Oscar du meilleur réalisateur et du meilleur film à deux reprises.
Néanmoins, il ne faudrait nullement pas que ces classiques intemporels viennent minimiser le reste d’une carrière cinématographique extrêmement riche, et qui se démarque surtout par son singulier éclectisme. Le réalisateur est en effet l’un des rares à s’être aussi formidablement illustré dans une telle variété de films. À ma connaissance, hormis les inévitables Steven Spielberg et Stanley Kubrick, je ne vois d’ailleurs personne ayant à ce point excellé dans la diversité de genres. En prêt d’une quarantaine de films réalisés (sans compter ceux où ils fut également monteur ou producteur) et 60 ans de carrière (le cinéaste continuant à s’investir dans la production jusqu’au crépuscule de sa vie, quitte à en assurer publiquement la promotion en prime), Robert Wise a en effet côtoyé tous les genres : fantastique (La malédiction des hommes-chats, Audrey Rose), aventure (A game of death), horreur (Le récupérateur de cadavres, La Maison du Diable), policier (Né pour tuer, Le Coup de l'escalier), drame sportif (Nous avons gagné ce soir, Marqué par la haine), western (Ciel rouge, Les rebelles de Fort Thorn), science-fiction (Le jour où la Terre s’arrêta, Le Mystère Andromède), space opera (Star-Trek : le film), politique (La Tour des ambitieux), péplum (Hélène de Troie), comédie (Cette nuit ou jamais), guerre (L'Odyssée du sous-marin Nerka, La Canonnière du Yang-Tse), judiciaire (Je veux vivre !), musical (West Side Story, La mélodie du bonheur), mélodrame (Deux sur la balançoire, Brève rencontre à Paris), catastrophe (L'Odyssée du Hindenbourg)… jusqu’à la romance dansante Les toits (Rooftops) en 1989.
Cette régularité avec laquelle Robert Wise parvient à marquer durablement l’histoire du cinéma et à enflammer les spectateurs par la qualité de ces films reste une particularité pour le moins exceptionnelle ; même si, assez légitimement avec une filmographie aussi dense, il est certain que tout ne se vaut pas. Toutefois, l'excellence l'emporte largement sur la médiocrité lorsque l'on regarde de près la carrière de Robert Wise ; dont la vocation pour le cinéma se manifesta très tôt. En effet, attiré dès son plus jeune âge par l'industrie du cinéma, celui-ci débute tout d'abord sa carrière comme coursier en 1933 (il est alors âgé d'à peine 19 ans) au sein de RKO (où travaille déjà l'un des ses frères aînés), transportant les bobines entre salles de montage et salles de projection, avant d'être remarqué par l'un des monteurs du studio. Ce qui lui permit ainsi de faire son apprentissage des différentes techniques du montage son (musique et effets sonores). Rapidement promu monteur image, puis chef monteur, il collabore ainsi à des films comme La fille de la cinquième avenue de Gregory La Cava (1939), Quasimodo de William Dieterle (id.) ou encore Mon épouse favorite de Garson Kanin (1940). Toutefois, c'est surtout le titanesque travail qu'il accomplira en 1941 à l'occasion du premier long-métrage d'Orson Welles, un certain Citizen Kane, que Robert Wise obtiendra enfin une certaine reconnaissance de la profession puisqu'il est alors nommé aux Oscars (ce qui est mérité car, sans lui, le film n'aurait éminemment pas la même saveur).
Après avoir du nouveau assuré le montage du film suivant d'Orson Welles, La splendeur des Amberson (1942), l'artiste passe à la réalisation l'année suivante grâce à Val Lewton qui lui confie la réalisation de La malédiction des hommes-chats (en remplacement de Gunther Von Fritsch dont le travail préliminaire ne convenait pas au studio). Il travaillera de nouveau pour le fameux producteur de série B en 1945 à l'occasion du singulier Récupérateur de cadavres au générique duquel figurent les deux plus grandes légendes des studios Universal : Boris Karloff et Bela Lugosi. Entre deux westerns remarqués (Ciel rouge en 1948 et Les rebelles de Fort Thorn en 1950), Robert se distingue en 1949 en signant Nous avons gagné ce soir ; excellent film noir réaliste consacré à la boxe et qui surtout pour particularité de dérouler l'action en temps réel (une première à l'époque). À l'aise dans tous les genres, Robert Wise se lance dans la science-fiction avec brio en 1951 en tournant le mythique Le jour où la Terre s'arrêta (dont un remake avec Keanu Reeves a été réalisé en 2008). Encore une fois, le réalisateur se montre particulièrement original en proposant une "invasion" extra-terrestre pacifiste en tout point différente de ce que proposeront plus tard Byron Haskin (La Guerre des Mondes), William Cameron Menzies (Les envahisseurs de la planète rouge), Fred F. Sears & Ray Harryhausen (Les soucoupes volantes attaquent) ou encore Gordon Flemyng (Les Daleks envahissent la Terre). En 1958, dans le poignant Je veux vivre !, il livre un formidable réquisitoire contre la peine de mort en mettant en scène le tragique destin de la première femme à avoir été exécutée aux États-Unis.
Parallèlement, Robert Wise s'investit de plus en plus dans l'élaboration et la production de ses projets filmographiques (ainsi produit-il justement Le coup de 'escalier en 1959). Les années 1960 se révèlent ensuite particulièrement florissantes pour le cinéaste qui accumule succès et chefs-d'œuvre : West Side Story (1961), Deux sur la balançoire (1962), La Maison du Diable (1963), La mélodie du bonheur (1965) ou encore La Canonnière du Yang-Tse (1966). Après s'être brillamment illustré dans la comédie musicale, le mélodrame, l'horreur et le film de guerre, Robert Wise revient à la science-fiction en 1971 avec une adaptation haletante d'un roman de Michael Crichton, Le Mystère Andromède. Bien que plus rare par la suite, le réalisateur achèvera tout de même les années 1970 avec l'emblématique adaptation de la série culte créée par Gene Roddenberry : Star Trek : le film (où ni William Shatner, Leonard Nimoy, DeForest Kelley, James Doohan, George Takei ou encore Walter Koenig ne manquent à l'appel). Il réalisera son ultime long-métrage, la comédie musicale Les toits (Rooftops), en 1989. Sachant que, même s'il tourne moins, le cinéaste reste particulièrement actif dans le septième art ; et en particulier dans la production (occupant notamment le poste de producteur exécutif sur Wisdom, le premier film du jeune acteur Emilio Estevez, bien avant que celui-ci ne réalise Bobby). Toujours fidèle à son style, Robert Wise n'abuse d'aucune effet démonstratif tout en apportant un soin extrêmement méticuleux à sa mise en scène.
Mais au-delà de ses qualités de filmeur attentif et rigoureux, c'est dans sa capacité à intégrer avec finesse une multitude de thèmes dans ses films qui rend le travail de cet humaniste passionnant. Qu'il s'agisse d'une mise en garde contre la prolifération des armes nucléaires que connait une planète paronoïaque en pleine Guerre Froide (Le jour où la Terre s'arrêta), d'une remise en cause de la peine de mort (Je veux vivre !), du racisme (Le coup de l'escalier), de la condition féminine (Femmes coupables) ou encore des problèmes d'intégration que rencontrent les jeunes issus de l'immigration (West Side Story), les sujets abordés sont là encore très variés. Et ce n'est pas le moindre des talents de Robert Wise que d'avoir su apporter une dimension prospective profonde et qui transcende le caractère "spectacle grand public" que revête la majeure partie de ces films ; plaçant toujours la réflexion sur l'humanité bien au-delà du simple divertissement commercial. Et ceci, je me permets d'insister, sur une diversité de genres cinématographiques proprement fabuleuse ! Justement, et bien que j'ai évoqué bon nombre de ses réalisations, il me semble particulièrement ardu d'être véritablement exhaustif. Mais qu'importe. Le but de ce billet n'est finalement pas tant de mettre en avant toutes les réussites majeures que le septième art lui doit que de rendre un hommage mérité à cet artiste encore trop méconnu. À ce propos, on peut espérer que la sortie récente du remake de Le jour où la Terre s'arrêta que vient de réaliser Scott Derrickson ait au moins pour mérite de rappeler le nom du réalisateur de l'original aux jeunes générations de cinéphiles : un certain Robert Wise.
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Paul 02/01/2009 13:25
Shin 04/01/2009 02:56
yvonne 01/01/2009 19:56
Shin 02/01/2009 00:40
Oreo33 28/12/2008 14:04
Shin 28/12/2008 19:39
Oreo33 26/12/2008 15:25
Shin 27/12/2008 22:05
goodfeles 23/12/2008 19:23
Shin 27/12/2008 21:56