« La connaissance s'accroît en la partageant. »
15 Janvier 2010
Après avoir fait l'objet d'une télésuite en deux épisodes réalisée par Christian Duguay en 2008, Coco Chanel avec Barbora Bobulova et Shirley MacLaine dans le rôle titre (chacune campant Coco aux différentes étapes de sa vie), les projets d'adaptation de la vie de "Mademoiselle" se sont également bousculés sur le grand écran. Fin 2009, Jan Kounen choisit ainsi de s'intéresser à cet emblème de la mode à travers son Coco Chanel & Igor Stravinsky, qui revient sur l'histoire d'amour que la couturière française (sous les traits d'Anna Mouglalis) a entretenu avec le compositeur russe (joué par Mads Mikkelsen). La même année, Danièle Thompson projetait aussi de réaliser un biopic sur la vie de Coco Chanel, avant d'abandonner l'idée, probablement freinée par la concurrence de ces autres projets similaires et simultanés. Enfin, Anne Fontaine – réalisatrice des romances contrariées Entre ses mains, Nathalie... ou encore La Fille de Monaco – s'empare à son tour du sujet à l'occasion du-dit Coco avant Chanel, qui s'intéresse alors surtout à la jeunesse de Gabrielle Chanel, bien avant que celle-ci ne devienne Coco, la célèbre créatrice de mode.
Pour beaucoup, le nom de Coco Chanel reste d'ailleurs surtout associé à une marque et à ses parfums, ses sacs, ses tailleurs, ses chapeaux. De ce fait, raconter l'histoire de celle-ci avant qu'elle ne devienne la chanteresse de la mode féminine mondialement connue sonnait déjà comme la promesse d'un manifeste féministe saisissant. Où comment une fille de camelots sans le sou est parvenu à libérer le corps de la femme – jusqu'à la femme elle-même – des carcans de la bienséance édictée par les hommes et dont elle était prisonnière. Une femme prisonnière de corsets bien trop serrés et de robes sans fin qui l'empêchaient de se mouvoir avec liberté ; une femme prisonnière de tenues vestimentaires bien trop chargées (entre tissus rares et rubans chics, plumes extravagantes et fleurs chatoyantes, joyaux scintillants et autres matières onéreuses) qui semblaient alors les réduire à de vulgaires faire-valoir de la fortune de leurs amants, légitimes ou non (comme un autre signe extérieur de richesse à ranger à côté d'une luxueuse demeure, de quelques chevaux de race et d'une belle voiture sportive) ; et surtout une femme libérée par l'audace d'une artiste avant-gardiste et rebelle, porteuse d'un vent de changement contestataire, qui – en bousculant totalement les codes de la mode féminine – entraîna dans son sillon l'émancipation à venir du "sexe faible", sublimé dans sa définition ô combien plus juste de "beau sexe". Bref, raconter l'histoire des jeunes années de Coco Chanel sonnait déjà comme la promesse de l'étude passionnante d'une personnalité hors du commun, insoumise, et qui ira jusqu'à finalement sacrifier l'idée même de mariage sur l'autel de son accomplissement professionnel, et de son indépendance.
Mais contrainte de le sortir avec peut-être trop de hâte (pressée sans doute par des producteurs soucieux de "griller" la politesse à Jan Kounen et à son pour le moins encombrant Coco Chanel & Igor Stravinsky), Anne Fontaine se contente malheureusement de signer une biographie filmée bien trop lisse, au scénario peu engageant et à la mise en scène sans ampleur. La naissance de la marque ne sera finalement que chichement évoquée en filigrane, et les réflexions sur la libération de la femme à peine effleurées, afin de permettre à ce biopic linéaire et attendu de s'embourber dans une romance à trois sans véritable enjeu. L'enfance de la jeune Chanel à l'orphelinat, jusqu'à ses premiers pas dans un cabaret de Vichy, sont ainsi rapidement survolés pour permettre à cette idylle à l'eau-de-rose de prendre toute la place dans le récit. Coco Chanel passe d'un cœur à l'autre, d'Étienne Balsan à Arthur "Boy" Capel, sans que jamais le spectateur ne doute de la finalité de ce triangle amoureux, traité de surcroît avec une regrettable banalité. Hormis nous faire part des tourments affectifs de l'héroïne (entre le besoin d'un homme et l'envie d'un autre, un amour dont elle ne veut plus et un autre qu'elle ne pourra garder), Coco avant Chanel ne raconte finalement rien d'intéressant et ne développe jamais vraiment toutes les riches thématiques que pouvaient contenir un destin aussi dense, et une époque aussi tourmentée. C'est même à se demander si la terre continue de tourner pendant ce temps-là, et mieux vaut être déjà au courant que la Première Guerre Mondiale se déroule au même moment parce film reste à ce sujet étonnamment silencieux (un comble pour celle qui obtiendra la reconnaissance en utilisant notamment le jersey contenu dans les tenues des soldats pour ses étoffes et habillera même les infirmières d'alors !). Si bien que l'on finit par se demander pourquoi la réalisatrice a choisi de s'intéresser au personnage de Coco Chanel si c'était pour se contenter de nous livrer une vulgaire amourette sans réflexion ni passion... Et pourtant, s'il y a bien quelque chose d'intéressant chez Coco Chanel, c'est quand même bien Coco Chanel justement !
Pour habiller cette histoire d'amour(s) tragique(s), la réalisatrice ne fait malheureusement pas preuve non plus de partis artistiques très judicieux. Si les costumes du film – en grande partie prêtés par la maison Chanel – sont évidemment un véritable plaisir pour les yeux, rien à l'écran ne justifie vraiment les quelques 20 millions d'euros investis dans l'affaire. La photographie peu inspirée de Christophe Beaucarne (qui avait pourtant su doter le Paris de Cédric Klapisch des plus beaux atours, avant de travailler sur l'ambitieux Mr. Nobody de Jaco van Dormael) semble totalement dénuée de relief et ne met en valeur ni lesdits costumes, ni ceux qui les portent, ni encore les décors pourtant audacieux d'Olivier Radot (avec un tel budget en même temps, il aurait était malheureux que les décors paraissent cheap). Ultra-classique et d'un académisme assommant, la mise en scène d'Anne Fontaine s'avère qui plus est totalement dénuée de point de vue (la caméra se contentant de suivre les comédiens avec des cadrages les mettant assez rarement en valeur) et esthétiquement bien sage ; donnant à Coco avant Chanel davantage l'apparence d'un téléfilm de luxe que d'un film de cinéma à proprement parlé (malgré quelques beaux plans éparses, comme habités par une grâce aussi soudaine que rare, surtout sur la fin). En outre, handicapé par un montage peu énergique, le rythme du film ne cesse de se perdre jusqu'à susciter un irrépressible ennui. Et aussi surprenant que cela puisse paraître s'agissant d'une composition du pourtant brillant Alexandre Desplat (Un prophète, L'Étrange histoire de Benjamin Button, L'Ennemi intime), la bande originale du film d'Anne Fontaine ne parvient pas davantage à nous captiver (l'intéressé semblant se contenter du minimum syndical) et a surtout bien du mal à tenir la comparaison de la prodigieuse partition qui accompagne le concurrent Coco Chanel & Igor Stravinsky de Jan Kounen (et c'est sans parler de l'horripilant "Qui qu'a vu Coco ?" qui nous est ici assené jusqu'à l'overdose). La réalisatrice démontre en revanche que son savoir-faire dans l'écriture est demeuré intact et nous livre d'ailleurs de très jolis échanges de texte (notamment lors de ce passage où Coco explique à Boy qu'elle ne sera la femme de personne, pas même la sienne). !
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Vlad 27/01/2010 23:19
Le Cinévore 21/01/2010 21:06