9 Avril 2013
Il est également très appréciable de constater que le même soin a été apporté à l'écriture des personnages ; des personnages dont la caractérisation se révèle être, au final, d'une très grande justesse. Car si chaque protagoniste gravitant autour de William Lamers semble, de prime abord, avoir un rôle purement fonctionnel, à la limite de la caricature – le directeur inflexible, le prêtre bienveillant, l'infirmière rigide, le gardien compatissant (le réalisateur ne cache d'ailleurs pas son amour pour le cinéma des frères Coen et leurs personnages brut de décoffrage) – le long-métrage va progressivement mettre avant la richesse inattendue dont ils recèlent. Déjà, Patrick Ridremont a su s'entourer de véritables "gueules" de cinéma (des visages puissants marqués par le temps et riches d'expressions pleines d'émotions), mais le talent des comédiens y est évidemment pour beaucoup. Ceux-ci livrent en effet une interprétation solide et dont les nuances insoupçonnées ne cessent de surprendre. Il y a d'abord cet aumônier que campe l'excellent Christian Marin (inoubliable Maréchal Merlot du fameux Gendarme de Saint-Tropez et Lieutenant Laverdure de la célèbre série Les Chevaliers du ciel). Avec son visage oblong, ses oreilles décollées, son large sourire et son air d'imbécile heureux à la Bourvil, l'acteur (dont ce sera malheureusement le dernier film) possède cette bonhomie naturelle lui permettant d'incarner la gentillesse et la tendresse de ce prêtre malicieux, drôle et attachant, avec une belle authenticité. On apprécie aussi grandement les touches d'humour apportés par le toujours aussi excellent François Berléand. Dans le rôle du connard de service irascible, l'acteur est en terrain connu. Pourtant, à mesure que le long-métrage se déroulera, une autre part plus inattendue du personnage finira par apparaître ; lui apportant alors une profondeur inédite et assez émouvante.
On peut également mentionner la délicate Pauline Burlet qui interprète avec beaucoup de justesse la fille du directeur et parvient à rendre la relation qu'elle tisse avec le condamné aussi touchante que crédible ; mais aussi Didier Ferrari en truculent producteur de télévision ; ou encore Daniel Dietenbeck en énigmatique (ange) gardien silencieux. J'ai peut-être un peu moins accroché avec les personnages de Virginie Efira, Olivier Leborgne et Jean-Luc Couchard (néanmoins excellents comédiens), mais surtout parce que je trouvais que les passages avec le gouverneur viraient parfois un peu trop dans le grotesque (même si j'ai tout de même souri à plusieurs reprises des frasques de ce dernier). En revanche, j'ai été totalement sidéré par la performance de Denis Mpunga qui – avec Patrick Ridremont bien sûr – est LA révélation de Dead Man Talking. Si ce drôle de gardien amuse le spectateur à de multiples occasions durant ses premières interventions (il faut dire que l'acteur un potentiel comique assez remarquable), il va rapidement apparaître comme le personnage le plus attachant, et le plus bouleversant, du film (notamment lors de ce passage très poignant où son intimité nous est révélé). La profonde humanité des êtres gravitant dans le film de Patrick Ridremont est vraiment l'un de ces points forts ; les scènes (riches de sens) où l'on découvre le personnage principal plus jeune avec son grand frère m'ont particulièrement touchées aussi. Mais Dead Man Talking, c'est aussi une œuvre à l'esthétisme travaillé qui tire le maximum de son budget relativement modeste de 2,8 millions d'euros. La photographie de Danny Elsen est vraiment superbe, à l'instar de la très belle bande originale composée par Matthieu Gonet, et la direction artistique parvient étonnamment bien à allier la force de son originalité et le bien-fondé de sa neutralité. Ne prenant date et place à aucune époque précise et aucun lieu déterminé, le long-métrage pourrait finalement se dérouler n'importe quand et n'importe où – il ne ressemble pourtant un aucun autre. Ce caractère résolument intemporel et universel est parfaitement cohérent et permet de rendre cette fable satirique de nos sociétés modernes plus pertinente encore.
Préférant mettre en exergue l'absurdité d'un monde où l'influence des médias et le pouvoir des politiques ont pris des proportions totalement démesurées, et évitant surtout soigneusement de jouer les donneurs de leçons, Patrick Ridremont laisse le spectateur libre de juger des responsabilités de chacun, d'être choqué ou ému par ce qu'on lui propose, et de se faire sa propre opinion sur ce "héros" pas comme les autres, présenté dans tout ce qu'il a de meilleur mais aussi de pire, et dont le cynisme n'est finalement rien d'autre que le reflet implacable de notre époque. Cet oiseau qui ne semble plus vouloir quitter sa cage, c'est à la fois ce condamné prisonnier d'un cirque médiatique et politique aux allures de purgatoire tragi-comique ô combien funeste, mais c'est aussi un peu de chaque individu prisonnier d'un système qui le dégoûte et qu'il subit pourtant (jusqu'à l'accepter) sans broncher. Finalement, c'est bien plus qu'une cigarette que le public partage avec William Lamers ; cet être monstrueux et pourtant si profondément humain, qui fait couler le sang aussi sûrement que les larmes (et dont le bras porte les stigmates toujours plus nombreux de son épreuve avec la mort). Je suis pourtant le premier à me plaindre de la faible qualité des productions françaises, mais force est de constater que ce très beau long-métrage franco-belge vaut vraiment le coup et que ce premier essai de Patrick Ridremont mérite largement d'être soutenu. Je ne crois d'ailleurs pas avoir été aussi touché par un film carcéral de ce type que depuis La Ligne Verte auquel j'ai plusieurs fois songé durant la projection (l'ambiance générale y est relativement proche, même si la tonalité des deux métrages est évidemment assez différente). Et dire que j'ai failli rater Dead Man Talking en salles...
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