30 Janvier 2009
Il y a maintenant plus d'une décennie que le phénoménal Titanic de James Cameron permit au couple formé par Leonardo DiCaprio et Kate Winslet d'entrer par la grande porte dans la légende du cinéma mondial. Depuis, chacun des deux acteurs a mené une carrière exemplaire ; et il est peu dire que les retrouvailles de ce duo mythique à l'écran étaient attendues (par moi notamment comme en témoigne mon billet du 01/01/2009). Douze ans après, Sam Mendes (qui a entre temps épousé Kate Winslet donc) rend enfin les choses possibles en adaptant le classique Revolutionary Road (La Fenêtre panoramique en français) de Richard Yates. De ce que j'ai appris, le roman (que je n'ai pas lu) fit grand bruit à l'époque ; engendrant de vives discussions sur la nature du mariage, le rôle de l'homme et de la femme dans la société moderne, et la difficulté de concilier les réalités de la famille, du travail et des responsabilités avec les aspirations idéalistes de la jeunesse. En s'attelant de nouveau à une critique corrosive du rêve américain selon le prisme familial, le réalisateur allait-il renouveler l'exploit de son formidable (et multi-oscarisé) American Beauty ? Franchement, j'aurais aimé. Malheureusement, je suis loin d'être absolument enthousiaste. En dépit du malin plaisir qu'a visiblement pris Sam Mendes à totalement démythifier l'imagerie qui entourait le couple incarné par Kate Winslet et Leonardo DiCaprio dans Titanic, son long-métrage ne m'a pas convaincu plus que cela.
De fait, loin de la folle passion amoureuse qui les submergeait dans le film de James Cameron, ils incarnent ici un couple à la dérive aspirant à une vie autrement plus palpitante que celle dans laquelle ils se sont progressivement enfermés. Actrice sans talent, April Wheeler mène la vie guère passionnante de femme au foyer (forcément désespérée) qu'elle redoutait tant. Son mari, Frank, s'est quant à lui condamné à prendre le même chemin que son père en exerçant un métier qu'il déteste par dessus tout (ne trouvant de piètre "réconfort" quand flirtant stupidement avec une secrétaire insipide). Et avec leurs deux enfants, ils ont fini par s'installer dans une banlieue résidentielle aux maisons identiques comme il en existe tant aux États-Unis. En fait, ils vivent l'existence banale de millions d'américains. Sauf que l'idée d'être pareils à ces ménages normaux, qui aspirent à la simple assurance d'une stabilité tant économique (subvenir aux besoins de la famille) que matérielle (posséder un foyer confortable et douillet), les rebute profondément. Légèrement vaniteux dans l'âme (disons plus poliment que leur ambitions juvéniles les tiraillent toujours), notre couple estime en effet qu'il vaut mieux que ça. Mieux que cette existence étriquée qui est désormais la sienne, et qui ne ressemble nullement aux projets et aux envies qu'ils avaient lorsqu'ils se sont rencontrés. Mieux que ce bonheur conformiste illusoire. En somme, mieux que simplement exister : vivre. Alors pourquoi ne pas tout plaquer et tout recommencer ?
Leonardo DiCaprio et Kate Winslet : Mariés, 2 enfants.
C'est ce qu'aimerait aujourd'hui April afin de sortir de cette routine qui la détruit à petit feu. C'est d'ailleurs ce qui lui avait promis Frank au lendemain de leur première nuit d'amour. Mais lui doute car une promotion lui tend les bras et la perspective de vivre aux crochets de sa femme (qui semble croire que les secrétaires ont des salaires de ministres en Europe) ne l'enchante guère. Et puis surtout, ils ne sont plus seuls. Il y a les enfants aussi (des enfants curieusement absents à l'image d'ailleurs). Ces deux êtres qui se sont trop vite aimés ne partagent plus à présent les mêmes ambitions. Les tensions apparaissent. Les disputes aussi, de plus en plus violentes. Pour faire un mauvais jeu de mots, après avoir sombré dans la mer, voilà que Kate et Leo sombrent dans l'amer. Bon, je me dois d'être un tant soit peu honnête. Les thèmes abordés sont très intéressants, les acteurs formidables (et autant l'un que l'autre d'ailleurs ; Leonardo DiCaprio ne méritait encore une fois pas moins que Kate Winslet de remporter un prix) et les intentions du réalisateur plus que louables. Mais, sans être foncièrement mauvais, Les Noces Rebelles est un film qui ne passionne guère. La critique pleine d'ironie de l'american way of life à laquelle s'était déjà livré Sam Mendes dans American Beauty me semblait alors nettement plus subtile et bien plus efficace. Faut dire aussi que, pour souligner le démantèlement critique d'une famille américaine moyenne, le réalisateur faisait alors preuve d'un second degré avisé (via une certaine causticité). Un recul que l'absence d'humour de ces Noces Rebelles (si on excepte la toute dernière image, amusante) ne permet pas ici.
De fait, le film se prend un peu trop au sérieux et s'enferme dans un académisme regrettable (jusqu'à la musique mélodramatique qui va bien). Bien que soignée, la mise en scène manque ainsi d'audace. Rien ne dépasse, tout est sa place (seules les olives dans les verres de Martini ont la bougeotte). Alors d'accord, c'est beau (rien à dire là-dessus). Néanmoins, aussi peu d'inventivité et de folie dans un film qui a justement pour objet de dénoncer le conformisme ambiant est un véritable comble en soi. Il va s'en dire que j'aurais préféré quelque chose de plus couillu ; de plus personnel tout du moins. De plus subtil aussi. Parce que le passage où l'on voit une nuée de businessmen vêtus de costumes cintrés et de chapeaux identiques se rendre docilement au boulot, ça fait légèrement cliché façon Les Temps Modernes du pauvre. Autre exemple frappant de cette exaspérante manie du réalisateur à sur-expliciter son propos : le personnage qu'incarne Michael Shannon. Dans un registre que l'acteur connaît bien (Bug) et qu'il maîtrise à la perfection (sa nomination aux Oscars est tout à fait justifiée), celui-ci prête donc ses traits à un doux dingue qui – et c'est bien pratique – n'a que faire des conventions sociales (car il est fou), n'est contredit par personne (car il est fou) et n'hésite pas à dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas (en même temps, il est fou). Le problème est tout d'abord de savoir quel crédit véritablement accorder aux vérités déblatérées par ce zinzin (vous ai-je déjà dit qu'il était fou ?). Mais surtout, ce qu'il raconte n'apporte rien de plus qui n'avait pas été sous-entendu jusque-là (via les nombreuses disputes du couple notamment) ou que l'on n'avait pas déjà compris (d'où une redondance pas très utile).
Leonardo DiCaprio et Kate Winslet : Feu de l'amour.
Mais au-delà de ce caractère trop lourdement explicite (sur lequel on pourrait à la rigueur passer), le film a une fâcheuse tendance à sonner faux. Ainsi, quand Leo s'énerve, il éclate des chaises sur les murs. Et quand Kate craque, elle crie comme une hystérique avant d'aller piquer un petit sprint dans les bois. On pourrait aussi évoquer les longues diatribes qu'ils s'envoient à la gueule et qui semblent aussi peu spontanées qu'un cours de psychologie d'université. Tout comme les enfants, étrangement absents (ils n'auraient pas existé que cela n'aurait rien changer). Mais surtout, on a vraiment du mal à comprendre ce qui les a attiré l'un vers l'autre. Je sais bien que le cœur a ses raisons que la raison ignore, mais ça ne justifie pas pour autant que leur coup de foudre soit si peu crédible. Lorsque April dit à Frank qu'il est l'homme le plus intéressant du monde, on a franchement du mal à y croire tant leur liaison manque de vie et leur quotidien semble si insignifiant (c'était peut-être de l'ironie, remarquez...). De fait, Les Noces Rebelles est un film sans passion et, ce qui est plus gênant, sans émotion. C'est tellement poussif et si froidement formel (sûr que ça aurait fait une excellente pièce de théâtre), qu'on ne ressent finalement pas grand chose. Que nos deux mariés restent ensemble ou se quittent, qu'ils partent pour Paris ou non, qu'ils vivent ou meurent... au fond, on s'en fiche. L'émotion ne passe pas. Même les scènes de sexe manquent de conviction (clair que c'est pas du Verhoeven), quand elles ne sont tout simplement pas ridicules (à l'image de celle en forme de clin-d'œil maladroit – involontaire ? – à Titanic dans une voiture embuée).
On reste vraiment loin de l'intensité que pouvait avoir un roman comme Madame Bovary de Gustave Flaubert (dont la mélancolie, l'ennui et la douleur de l'héroïne me paraissent assez proches de ce que ressent April). Et bien que la forme (tant au niveau de la mise en scène que de l'interprétation) soit globalement réussie (en dépit du doublage français particulièrement horripilant de Kate Winslet), le film apparait comme bien trop austère pour convaincre. Trop prévisible aussi. Chaque "rebondissement" se devine largement à l'avance (la tromperie d'April est un artifice bien facile d'ailleurs), et la conclusion à base de faux dénouements successifs qui n'en finissent pas est assez pénible aussi (car trop explicative une fois encore). Pour moi, le long-métrage aurait dû se terminer sur le magnifique plan panoramique d'April devant sa fenêtre après avoir commis l'irréparable. Le reste est de trop. Le réalisateur ne laisse pas suffisament de place à l'imagination et s'évertue à donner des réponses dont on se serait bien passé. Plus décalé, plus inventif et moins balisé, je ne peux finalement pas m'empêcher de préférer American Beauty qui stimulait bien plus avantageusement le spectateur (réduit ici à suivre passivement l'histoire qu'on lui présente). Malgré tout, je n'en veux finalement pas trop à Sam Mendes car Les Noces Rebelles est loin d'être honteux (et je sais qu'il saura mieux me convaincre une prochaine fois). Son long-métrage manque juste d'âme ; et ne marquera pas autant les esprits qu'il ne le devrait. C'est dommage. Et si je revoyais Titanic pour la peine ?
Commenter cet article